mardi, avril 18, 2006

De l'intérêt des primeurs

VinorumCodex donne des estimations de la valeur de vente des vins en vente publique, ou entre particuliers, ou encore de particulier à professionnels. Par exception, la cote de l'année suivant le millésime de récolte est la basée sur le prix de vente en primeur TVA comprise.

Au départ, ce type de vente était réservé aux professionnels. Son principe est de transférer au négoce une part du poids financier de l'élevage. Le bénéfice est pour le négoce de s'assurer la disponibilité des vins en bouteille à un tarif avantageux, et pour la propriété d'avoir une avance financière au lieu de travailler à une échéance de trois ans.L'ouverture de ce marché aux particuliers leur a permis d'acheter le plus tôt possible des vins rares ou spéculatifs et de réaliser de très bonnes affaires en sécurité.
Mais le passage d'un petit marché à un marché de très nombreux acheteurs a entraîné une hausse qui rend l'affaire plus hasardeuse. Parallèlement, le marché des foires au vin donne une seconde cote dès la mise en bouteilles. Si les vins y sont moins chers qu'en primeur, il est évident que le millésime a été vendu trop cher.
Dès lors que le négoce revend une grande partie de ces vins dans la foulée, sa charge de "portage" du millésime se transforme en une opération financière à court terme où tous les coups peuvent être permis, comme de déclarer tous les deux ans que le millésime est exceptionnel, ou de revendre 60 euros un vin acheté 30 une semaine avant si la demande est forte. Dans ce cas, bien sûr, le propriétaire est légitimement furieux et ne manquera pas de monter son prix à la prochaine campagne.

Depuis le millésime 1997 vendu trop cher, l'intérêt d'acheter des vins en primeur a baissé, sauf exceptions. Du coup, les marchands vendent encore le millésime 2004 en avril 2006. L'adage qui veut qu'en achetant tous les ans en primeur on est gagnant en moyenne est sans doute encore vrai, mais le bénéfice s'est beaucoup réduit. Reste, c'est sûr, la tranquillité et la sécurité pour l'acheteur.

Le marché est mondial et instable. Il y a plus à gagner à travailler des primeurs qu'à entretenir un stock coûteux. Il est plus avantageux de traiter le vin comme une valeur boursière que comme une marchandise.
Dans cette optique, chaque millésime doit être mis en scène: rédactionnel dans la presse à l'automne, dégustation géante début avril, alors que les vins sont encore très jeunes et peuvent bouger par la suite, campagne de teasing sur les prix, enfin sortie des tarifs. Puis un millésime chasse l'autre.

Les cotes que je publie permettent de garder la mémoire des campagnes en primeur. En général, les cotes de www.VinorumCodex.com sont celles du marché des enchères en prix d'adjudication, valant aussi pour des ventes entre particuliers ou de particuliers à professionnels, donc dans un marché ouvert. Les prix des primeurs sont moins fixés sur la demande: ils sont fixés par la propriété, augmentés de la marge du négoce, et ensuite ça passe ou ça ne passe pas. Il est quasiment impossible de baisser le prix si les acheteurs n'en veulent pas. Depuis quelques années, la concurrence y a fait son apparition, et par exemple les prix des premiers crus peuvent varier à la revente. Auparavant, les premiers sortaient tous au même prix par accord tacite de la Place de Bordeaux. L'éclatement de ce consensus a été un signe fort de la dérégulation.

La valeur de ces cotes de vente en primeur n'est donc pas la même que les autres cotes, qui sont mes propres estimations. Mais c'est le seul prix dont on puisse disposer pour des vins qui ne sont pas encore matériellement disponibles. Il permet des constatations intéressantes.Je donne des cotes TTC, les vins étant le plus souvent vendus hors taxes. Et je donne le meilleur prix que j'ai pu trouver. Je donne aussi maintenant des prix pour des vins d'autres régions, la vente en primeur s'étant largement répandue. Ce qui fera pour un millésime comme 2005 environ 700 vins cotés.

Les primeurs de Bordeaux de 1984 à 1990

Le millésime 1984 n'est pas très abondant, pas mûr et pas très bon sauf quelques cabernets, dont l'excellent Margaux dopé au vin de presse. Ausone n'embouteille pas son vin. La RVF le qualifie de "lugubre"! N'empêche, il faut bien vendre les Bordeaux. Alors on prend une décision courageuse: hausse massive des tarifs. Et ça marche!
Les plus anciens d'entre nous se rappelleront que la même statégie avait été appliquée en 1894, avec le même succès.

Les 1985 sont dans l'ensemble très bons, avec quelques vins rouges exceptionnels dont: Certan de May, Cheval-Blanc, Cos d'Estournel, Haut-Brion, La Conseillante, Lafite, Lafleur, L'Eglise-Clinet, Léoville-las-Cases, Le Tertre-Roteboeuf, Margaux, Mouton-Rothschild, Petrus... Les vins sont très bons, et les prix baissent, c'est comme ça. La vente en primeur est encore en majorité l'affaire des professionnels. Les Sénéclauze vendent directement leur Marquis de terme à 83 Frs TTC. A Bordeaux, le Club Vinophile de Conseil vend déjà des primeurs...

Vient 1986, un vrai beau millésime bordelais avec des cabernets magnifiques. 20 cadors? Certan de May, Clerc-Milon, Cos d'Estournel, Grand-Puy-Lacoste, Gruaud-Larose, Lafite, Lafleur, Léoville-las-Cases, Lynch-Bages, Margaux, Montrose, Mouton-Rothschild, Pichon-Lalande, Petrus, Rausan-Ségla dont c'est le retour, Vieux Certan... et de grands liquoreux, Yquem bien sûr, et Climens, Coutet madame, Fargues, Lafaurie, Raymond-Lafon...Les vins ne sont pas chers: Fieuzal à 85 Frs TTC., par exemple.

1987: votre serviteur, alors restaurateur, vend des primeurs. Année médiocre. Une sélection? Clinet, Margaux. Rausan-Ségla n'embouteille pas ses vins, ce qui lui fait plus de renommée que d'avoir réussi en 1986. Il a beaucoup plu au moment des récoltes. Beaucoup de vins ratés, et pas mal délicieux dès la mise, qui ont fait de parfaits vins de restaurant. Le négoce ne se bouscule pas pour les prendre, et on trouvera plus tard des crus classés à 49 Frs en grande surface, dont personne à Bordeaux n'avoue être le fournisseur. Je vois dans ce millésime l'origine des foires au vin .Moi, je vends Cos à 95 Frs, Fieuzal à 53 Frs, Léoville-Barton à 67 Frs, Haut-Brion à 178 Frs, Margaux à 181 Frs, le tout hors taxes.

1988 est une bonne année classique, vendue un peu plus cher que 1986. Pas toujours: Fieuzal à 85 Frs TTC. 20 cadors? Certan de May, Chevalier, Lafite, Lafleur, La Fleur de Gay, La Mission-Haut-Brion, Larmande, Latour, L'Eglise-Clinet, Léoville-las-Cases, Le Tertre-Roteboeuf, Mouton-Rothschild, Petrus, Rausan-Ségla, Vieux Certan. Les Sauternes aussi sont plus chers, mais ils le méritent largement.

1989 est une année très chaude et sèche. Idéal pour les Sauternes. Les rouges sont très bons dans l'ensemble, avec des réussites exceptionnelles. 20 cadors? Ausone, Beauséjour-Bécot, Canon, Cheval-Blanc, Clinet, Cos d'Estournel, Gazin, Grand-Mayne, Figeac, Haut-Brion, La Conseillante, La Dominique, Lafite, Lafleur, La Mission-Haut-Brion, L'Angélus, Latour, Le Bon Pasteur, Léoville-las-cases, Le Pin, Le Tertre-Roteboeuf, L'Evangile, Lynch-Bages, Margaux, Montrose, Palmer, Petrus, Pichon-Baron, Pichon-Comtesse, Sociando-Mallet, Troplong-Mondot.
Les prix montent sacrément. Rapportés en euros et TTC, quelques prix de vente: les premiers crus à 63 euros, les super-seconds à 35-40... mais Barton à 15, Clerc-Milon à 14, Larmande à 13, Gloria à 12, Marquis de Terme à 11, Lafon-Rochet à 10, Brillette à 9, Camensac à 8, Fourcas-Dupré à 7, Potensac, hé oui, à 6, Patache d'Aux à 5...C'est depuis le millésime 1989 que VinorumCodex donne les prix de vente en primeur. Pour 1989, 142 prix primeurs.
Pour une base 100 au printemps 1990, l'indice en 2005 est de 237.

1990: troisième grand millésime consécutif en sauternais. De grands vins rouges, riches, mais peu acides et dont beaucoup ont fatigué. 20 cadors? Ausone, Beau-Séjour Bécot, Beauséjour-Duffau, Canon, Canon-La-Gaffelière, Certan de May, Cheval-Blanc, Clinet, Clos Fourtet, Cos d'Estournel, Figeac, Gazin, Grand-Puy-Lacoste, Gruaud-Larose, Haut-Brion, La Conseillante, La Dominique, Lafite, Lafleur, La Mission Haut-Brion, L'Angélus, Latour, Le Bon Pasteur, Léoville-Barton, Léoville-las-Cases, Léoville-Poyferré, Le Pin, Le Tertre-Roteboeuf, L'Evangile, Lynch-Bages, Magdelaine, Montrose, Mouton-Rothschild, Pape-Clément, Pavie, Petrus, Pichon-Baron, Rausan-Ségla, Saint-Pierre, Sociando-Mallet, Troplong-Mondot, Vieux Certan... ça fait déjà une grosse vingtaine.
C'est vraiment l'année où acheter du vin en primeur. Belle qualité, donc les prix baissent, d'autant que la récolte est abondante. On peut toucher les premiers crus à 50 euros TTC, et Vieux Certan à 30, Palmer à 25, Magdelaine à 20, L'Angélus à 19, Beychevelle à 18, Les Forts de Latour à 17, Calon-Ségur à 16, Beau-Séjour Bécot à 15, Barton à 14, Soutard à 13, Sociando-Mallet à 12, Gloria à 10, Poujeaux à 9, Roc de Cambes à 8, Potensac à 7, Camensac à 6, et Beaumont à 5... A 19 euros, c'eût été une bonne idée que de prendre du Montrose.
A l'automne 1991, un marchand me propose du Cheval-Blanc 1990 autour de 400 francs. Il en a une dizaine de caisses sur le dos et pense avoir payé trop cher!Voici comme ci-dessus l'indice des 1990 dont nous avons un prix primeur sur VinorumCodex.
Sur 148 vins cotés, et une base 100 au printemps 1991, l'indice en 2005 est de 292, ce qui fait une belle plus-value qui cache des écarts de 1 à 10 sur certains vins.

A suivre...