lundi, février 13, 2006

10 janvier 2006: Sugar m'a tuer

En ce début d'année, je vous apporte au nom de VinorumCodex.com mes meilleurs voeux pour un an de dégustation mémorables et plus sobres. Plus sobres? Oui, car on peut toujours rêver d'une desescalade dans un monde de vins costauds et trop alcoolisés. Cette surenchère dont il est trop facile d'attribuer l'origine au "goût américain", elle est due en fait à l'ensemble de la filière: tant les producteurs bourguignons que ceux d'Alsace, les dégustateurs et les sommeliers..
Une lueur d'espoir me vient à la lecture de la Revue du Vin de France de novembre 2005 ( il n'est jamais trop tard pour l'ouvrir), dans laquelle j'ai relevé cette phrase qui me semble la plus importante de l'année:
"Il faut purement et simplement interdire la chaptalisation et les méthodes d'enrichissement." Pas moins!
Sous la plume exercée de Bernard Burtschy, dans la première revue française traitant du vin, et même sur une page "humeur", cette phrase audacieuse devrait sonner comme un coup de tonnerre dans le monde viticole. Je n'en ai pas vu beaucoup d'échos, aussi j'y apporte mon humble coup de pouce.
Interdire la chaptalisation? Ca veut dire quoi? Ca veut dire des années sans Chambertin ( il faut 11,5° d'alcool et certaines vignes n'en sont plus capables en année froide). Des années sans Bonnezeau ( il y faut 13,5° d'alcool potentiel). Des années sans Sauternes ( il y faut 13° d'alcool potentiel). Quant au Champagne... Certes, dira-t-on, ces Chambertins, ces Bonnezeaux et ces Sauternes n'en sont peut-être pas vraiment. Mais ils existent et se vendent sans peine. Sans parler des Bordeaux qui font allègrement 13° alors qu'ils étaient si bons à 11 naguères.
On connaît les causes premières de cet emballement pour l'alcool: en gros, l'influence anglo-saxonne pour des vins de pure dégustation contre l'habitude latine de boire à table des vins rafraîchissants et se mariant avec la cuisine. Quand un dégustateur dit d'un vin du Languedoc: " C'est du Porto...!", curieusement, c'est un compliment. J'aurais pensé le contraire. J'ai trouvé l'autre jour un vin de Californie qui titrait 15,8°. Je me souviens d'avoir goûté des cabernets francs de 14,5° en Anjou, après la récolte 1989. "Heureusement, me disait le vigneron, j'ai des cuves à 12° pour équilibrer." Aujourd'hui, il pourrait en faire une cuvée spéciale en priant pour se voir refuser l'agrément, refus garant d'une plus-value certaine.
La littérature des forums n'est pas en reste, avec l'apparition du terme de "fou furieux", qui désigne un viticulteur qui prend des risques ( "insensés, forcément insensés") pour vendanger à très haute maturité. Pas besoin dans ce cas de chaptalisation, je suppose, mais après, comme le dit Burtschy: "une seule cuiller suffit".
Cette évolution n'est pas saine. Elle n'est pas saine pour la santé. Elle n'est pas saine pour l'éducation des jeunes, dont pour beaucoup le palais ne reconnaît plus les nuances d'un vin de Bordeaux. Elle est suicidaire pour le vin français, qui voudrait lutter contre les tropiques. D'autant qu'elle se double d'un phénomène aussi pernicieux, qui est la présence de sucre résiduel dans les vins. Chez certains producteurs d'Alsace, les vendanges tardives ressemblent aux sélections de grains nobles, ce qui n'est pas grave; mais les vins secs ressemblent aux vendanges tardives, ce qui l'est plus. Des vins rouges sont sucrés. La combinaison de l'alcool, du sucre et souvent du bois étouffe le terroir et le raisin. Elle permet de boire les vins plus jeunes, "sur leur fruit", comme on dit, mais en se privant de la combinaison subtile qui fait les vins de garde. Au secours! Le sucré est la saveur la plus élémentaire. Les vins sucrés sans raison sont des vins régressifs, qui flattent un plaisir enfantin. L'acidité est devenue un gros mot. L'amertume, autrefois on disait la noble amertume, est synonyme d'ennui. Les notes de dégustation de certains vins de la Californie française évoquent une carte de fast-food.
Faut-il interdire la chaptalisation? Je n'en sais rien et ne suis pas compétent pour en juger. En tous cas, il est temps de réfléchir sérieusement à cet artifice, qui est souvent devenu un médicament pour soigner des moûts déséquilibrés. Laissons le mot de la fin au comte Chaptal, justement, dont le nom est passé à la postérité:
"Tous les vins naturels ont un bouquet plus ou moins agréable. Il en est même qui doivent une grande partie de leur réputation au parfum qu'ils exhalent. Le vins de Bourgogne est dans ce cas-là. Ce bouquet se renforce par la vétusté ( le vieillisement ). Il n'existe que rarement dans les vins très-généreux, ou parce que l'odeur de l'alcool le masque, ou parce que la forte fermentation qui a éténécessaire pour décomposer tous les principes, le fait disparaître ( dernière formule plus contestable)."
( Texte de 1819)

1 commentaire:

Unknown a dit…

Ce blog, enfin interactif, fait suite à la lettre d'information Enchères et en Vins publiée à partir de 1993.