dimanche, décembre 20, 2015

Non-buveurs d'étiquettes

Dernière vente publique de l'année, à Nantes. Pour quelques belles caisses de Bordeaux, comme Las-Cases 1982, moins belle que prévue, ou La Fleur-Pétrus 1989, des "courtiers" se sont déplacés.
Courtier n'est pas du tout le terme propre, mais je n'en connais pas d'autres. Ces intermédiaires n'achètent que ce qui est parfait: une étiquette rongée par des vers compromet l'ensemble du lot.
Peu importe que le vin ait été conservé dans une bonne cave humide, c'est l'extérieur de la bouteille qui en fait la valeur. Un niveau moyen et une étiquette parfaite, et le lot vaut plus cher qu'un niveau parfait et une étiquette tachée.

Je me méfie de ces acheteurs qui sont toujours tendus, toujours calculant leur marge à la revente. Au printemps, l'un d'eux a refusé un lot de Lafite 1992 au prétexte qu'il y avait un (petit)trou dans une étiquette. La règle édicte que l'acheteur est responsable de son lot dès l'adjudication. Ce petit trou était postérieur.
Mais cet acheteur ne voulait pas de la règle; il a refusé de payer, il est bien entendu exclu de mes ventes et de celles de quelques autres.

Dans les contrées lointaines où atterrissent ces grandes bouteilles, elles sont en concurrence avec d'autres remplies de je ne sais quoi, mais d'une présentation irréprochable car toutes neuves. Finalement, les étiquettes abîmées nous permettent de conserver ici un peu de grand vin.

Mais en ventes publiques nous ne voyons qu'une part minuscule de ce qui s'échange.
Printemps 2015: un internaute publie sur LaPassionDuVin un post mentionnant un Lafite 1982 avec l'indication "73 cl". Faux!
Rapport du Comité National des Conseillers du Commerce Extérieur de la France (ouf... CNCCEF)au printemps 2015: il y aurait en Chine plus de vins français contrefaits que d'authentiques. Droits de douane élevés, difficulté à obtenir des grands vins en nombre, naïveté des acheteurs expliquent ce marché florissant contre lequel le gouvernement ne peut pas faire grand-chose. Certaines bouteilles ne contiennent pas du tout de raisin!
A l'autre bout du monde, le milliardaire Bill Koch a gagné en septembre un procès en contrefaçon; il s'était fait refiler aux enchères, entre autres, Lafite 1811, Petrus 1921, Latour 1964 (vieux) et 1865 (yes!).
Mais, en juin 2015, la Chine a reconnu l'Indication Géographique Bordeaux, ainsi que celles plus restrictives de la Gironde.
Oui, mais le regretté Henri Jayer n'a sans doute pas produit autant de bouteilles de Cros Parantoux de son vivant qu'il ne s'en vend depuis sa mort. Pour les vieux Bourgogne, l'affaire Ponsot a permis de mettre au jour une fraude industrielle.
Il est vrai que les français n'y sont pour rien, et que les fausses bouteilles circulant en France sont sans doute très rares. Ou alors, à l'ancienne. Dans mes débuts dans le métier, j'ai ainsi vendu des Bourgogne Aligoté qui, selon les acheteurs, avaient goût de Montrachet. Aucun ne s'en est plaint.

Mais récemment encore, j'avais en vente publique deux bouteilles de Mouton-Rothschild 1986 en caisses individuelles. Petit problème à l'ouverture: les bouteilles étaient vides, le bouchon déposé à côté. Les enfants, peut-être.... Ces bouteilles vides, aux étiquettes impeccables, tout le monde voulait les acheter.

Aujourd'hui, sur un très important site de vente en ligne:
Château Lafite Rothschild 2009: sur la photo, pas de millésime sur l'étiquette, mention PAUILLAC sans AOC... et du Latour à partir de 1,75 euro... et aussi du Petrus DRC Conti produit à Bordeanx (sic). Les faussaires chinois ont une prédilection pour le nom de Languedoc, qui orne des étiquettes de Latour ou de Cheval-Blanc.

Je vous souhaite à tous d'excellentes fêtes de fin d'année.
Pour nous au repas de Noël: Yquem 1992, Ausone 1991, Romanée-Conti 1947. (Hélas, trois bouteilles qui n'ont jamais existé.
Quoique j'ai bu du vin du vignoble d'Yquem de 1992, et qu'on m'ait proposé un jour de la Romanée-Conti 1947.)

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