mardi, février 14, 2006

7 avril 2005, C'est reparti

Et voilà, c'est reparti. Après une brève interruption de dix ans due à des circonstances absolument dépendantes de ma volonté, ou de mon absence de volonté, ce merveilleux Media qu'était Enchères et en Vins renaît enfin. Pourquoi ?

1). Parce que tout le monde fait un Blog. Pour les cadres supérieurs, c'est devenu une nécessité encouragée par la direction : moins cher que le raid Gauloises des années 80 ( on ne fume plus), moins dangereux que le saut à l'élastique des années 90 ( on ne saute plus, même protégé), le Blog est le meilleur exutoire à l'ennui du bureau, le meilleur moyen d'exprimer sa créativité sans emm… les éditeurs ( quoique je reste ouvert à toute proposition décente), et enfin un moyen de délation soft et encouragé par la direction.

2). Prce que ce merveilleux medi qu'étit Enchères et en Vins mnque. Ps seulement à ce fidèle lecteur qu'étit Jen-Luc T. de Sint-Em. ( l décence nous oblige à tire les noms des lecteurs illustres ou non), mis ussi ? plusieurs unités d'bonnés fidèles ? cette lettre d'informtion que j'imprimis lborieusement sur une photocopieuse pour étudints après l'voir tpée sur m vielle mchine ? écrire où mnquit la lettre ? parce que Pérec vit écrit dessus uprvnt . Certes ce n'étit ps le Wine dvoct, mis c'étit mrrnt qund même.

3). Parce que tout le monde fait un Blog. Ma fille a fait son Blog en 2002, avant tout le monde, mais elle avait l'excuse d'avoir 11 ans, et il surpasse largement tout ce qui a suivi. D'ailleurs, tout Blog est censé être le meilleur, en sa discipline, qui est censé être universelle. Vous avez un travail ? Faîtes-le savoir par un Blog. Vous n'avez plus de travail ? Faites-le savoir par un Blog. Vous voulez dire votre opinion ? Faites-le savoir par un Blog. Vous êtes ancien journaliste en mal de papier ? Faites un blog. Vous voulez annoncer une révélation, par exemple que " 2004 est à Bordeaux le millésime du siècle* " ? Ecrivez-le dans votre Blog.
* par la quantité.

4). Pour parler de soi. Tout le monde a droit à un quart-d'heure de célébrité, a dit je ne sais plus qui. Pourquoi pas moi ? Je suis moi aussi capable d'écrire pendant des heures sur mes rosiers et sur mon chien, qui s'appelle P. et est mieux élevé que la plupart des chiens acteurs dans Mondovino. La pudeur et l'élégance sont finalement peu rentables.

5). Pour l'argent. Je viens de recevoir le chèque de mes droits d'auteur pour l'année 2004. Contrairement au millésime à Bordeaux, c'est plus intéressant en qualité qu'en quantité. C'est en tous cas inférieur aux besoins de ma famille et aux ambitions de ma cave personnelles. C'est totalement insuffisant pour m'accorder deux jours de chasse par semaine. De plus, mon activité d'expert en vins du Grand Ouest est limitée par le rayon d'action de mon véhicule et la quantité de vins proposés aux enchères par an. En outre, j'arrive à un âge où il est bon de recycler ses œuvres de jeunesse, l'inspiration se faisant rare. Par ailleurs, mes bons amis me disent que " tu devrais écrire un livre ", considérant que les deux douzaines que j'ai signés sont un entraînement. Il est vrai qu'ils pensent à un roman, et ça, c'est pas facile, à moins d'être doué ou journaliste ou déjà connu pour autre chose, ou sportif de haut niveau.

De plus, ne pas oublier que le but ultime de ce Blog est d'attirer des abonnés à www.VinorumCodex.com, qui est la plus grande base d'estimations de vins au monde, et dont ce Blog sera le pendant exutoire du sérieux absolu ( 30 euros par an).

Les articles anciens sont extraits soit de la revue Enchères et en Vin, soit du site
vins-encheres.com
16 avril 2005: A commander: J'attends mes primeurs, J'élève mes primeurs.

Ces deux nouveaux ouvrages pratiques et disponibles en souscription, publiés par deux éditeurs différents, mettent en lumière les caractéristiques profondes de l'acte de conclure une "transaction" en primeur. Une "transe-action" en effet, car cet acte est à la fois une action au sens kantien du terme ( quoique...), j'agis, j'évolue, je me construit en construisant ma cave, et une transe, où l'on trouve autant la peur de manquer, la ruée pour être-le-premier-servi ( comme à la cantine), un état second qui nous entraîne loin du rationnel, qu'une danse propriatoire exécutée à l'intention de celui qui peut satisfaire le voeu ( en l'occurence, le propriétaire de Pomerol).

Dans J'attends mes primeurs, tout découle du début: avant il n'y a rien, pas de souvenirs, que des bruits confus. La gestation du millésime, on le sait, obéit à des règles assez générales. Pour l'acheteur, se succèdent dans l'ordre la météorologie de l'année dont il n'a qu'une vague idée - les premières revues de presse annonçant "qu'on a vendangé les Graves blancs en août" - puis vers novembre l'annonce par la presse généraliste d'un millésime exceptionnel, voire jamais vu depuis 1893 - enfin en mars quelques signes annonçant qu'il y aura des dégustations en avril. Tout cela ne sont que des prémices.
La conception des primeurs aura lieu dans un savant ballet, d'avril à juin. C'est là qu'intervient la transe dont nous parlons plus haut. Elle tient au concept de "prime-heure": si je ne suis pas sur les rangs à la prime heure, ce sera trop tard tout-à-l'heure. Mais la prime-heure n'annonce pas son heure. D'où cette angoisse permanente de l'attente. D'où cette veille permanente de l'intellect, source de névroses et d'insomnies.
L'achat effectué, l'angoisse devrait normalement retomber. Il n'en est rien: d'autres questions viennent se rajouter aux questions: serai-je livré? Est-ce que j'ai fait des économies? Est-ce que le vin sera bon? Est-ce qu'il sera moins cher en FAV (Nous n'avons malheureusement pas pu découvrir la signification de ce sigle réservé aux initiés)?
D'autant plus que la structure linéaire du système des primeurs se complique depuis quelques années d'une superposition de couches qui accroît l'anxiété. En témoigne ce discours relevé dans le cabinet d'un primanalyste réputé:
"Je ne sais plus quoi faire. Tout me dit que je dois acheter des 2004, bien que les vins soient chers et le millésime moyen; tout - car il faut que j'achète des primeurs chaque année. En même temps, quand je vois que Cheval-Blanc 2003 est encore en vente primeur avec une augmentation négligeable, j'ai bien envie d'en prendre; je n'en avais pas pris l'année dernière, car je trouvais ça trop cher. Mais c'est peut-être un meilleur rapport qualité-prix que les 2002, bien que ça soit bien plus cher que les 2001 de l'hyper d'en face. Je pensais financer les 2004 en revendant un peu de 2000, mais ils valent la moitié d'en primeur, on dirait des 1997!..." etc,etc... Une logghorée préoccupante et qui touche de plus en plus de patients, à laquelle le thérapeute ne peut pour l'instant apporter qu'une écoute attentive, sans proposer de solution.

J'attends mes primeurs, Editions de l'Expectative, 120 pages, présenté en coffret bois. Livraison au premier semestre 2007. Tarif de souscription: jusqu'au 30 juillet 2005: 30 euros. Du 30 juillet 2005 au 30 juillet 2006: 35 euros. Du 30 juillet au 31 décembre 2006: 40 euros. En librairie début 2007: 20 euros.


J'élève mes primeurs est un ouvrage sensiblement différent, s'il aborde le même processus. On peut le lire comme un thriller où se succèdent les coups de théâtre. L'objet psychanalityque repose sur la fixation. On connaît depuis Freud le caractère de la fixation. Il s'agit ici de la fixation des prix de sortie des primeurs, selon un process complexe où l'affirmation de l'ego tient une part dominante. "Si mon prix est bon, je vends bien mon vin et je suis considéré; si mon prix est trop élevé, je ne vends rien; si mon prix est trop faible, les voisins se foutent de moi". L'enjeu est vital. Le "prix-meurt" ne donne qu'une seule chance. Sa fixation obéit autant à la logique qu'à l'intuition.
Ensuite, c'est l'élevage proprement dit. Pour ça, on fait comme d'habitude.

J'élève mes primeurs, collectif, Fédération de l'Agriculture et de l'Elevage, 12 pages, présenté en coffret bois. Livraison au premier semestre 2007. Tarif de souscription jusqu'au 30 juillet 2005: 30 euros. Sera sûrement épuisé ensuite.
Note de l'auteur. Contrairement à ce qui a pu être cru, le texte ci-dessus ne doit pas être pris au premier degré.

lundi, février 13, 2006

10 janvier 2006: Sugar m'a tuer

En ce début d'année, je vous apporte au nom de VinorumCodex.com mes meilleurs voeux pour un an de dégustation mémorables et plus sobres. Plus sobres? Oui, car on peut toujours rêver d'une desescalade dans un monde de vins costauds et trop alcoolisés. Cette surenchère dont il est trop facile d'attribuer l'origine au "goût américain", elle est due en fait à l'ensemble de la filière: tant les producteurs bourguignons que ceux d'Alsace, les dégustateurs et les sommeliers..
Une lueur d'espoir me vient à la lecture de la Revue du Vin de France de novembre 2005 ( il n'est jamais trop tard pour l'ouvrir), dans laquelle j'ai relevé cette phrase qui me semble la plus importante de l'année:
"Il faut purement et simplement interdire la chaptalisation et les méthodes d'enrichissement." Pas moins!
Sous la plume exercée de Bernard Burtschy, dans la première revue française traitant du vin, et même sur une page "humeur", cette phrase audacieuse devrait sonner comme un coup de tonnerre dans le monde viticole. Je n'en ai pas vu beaucoup d'échos, aussi j'y apporte mon humble coup de pouce.
Interdire la chaptalisation? Ca veut dire quoi? Ca veut dire des années sans Chambertin ( il faut 11,5° d'alcool et certaines vignes n'en sont plus capables en année froide). Des années sans Bonnezeau ( il y faut 13,5° d'alcool potentiel). Des années sans Sauternes ( il y faut 13° d'alcool potentiel). Quant au Champagne... Certes, dira-t-on, ces Chambertins, ces Bonnezeaux et ces Sauternes n'en sont peut-être pas vraiment. Mais ils existent et se vendent sans peine. Sans parler des Bordeaux qui font allègrement 13° alors qu'ils étaient si bons à 11 naguères.
On connaît les causes premières de cet emballement pour l'alcool: en gros, l'influence anglo-saxonne pour des vins de pure dégustation contre l'habitude latine de boire à table des vins rafraîchissants et se mariant avec la cuisine. Quand un dégustateur dit d'un vin du Languedoc: " C'est du Porto...!", curieusement, c'est un compliment. J'aurais pensé le contraire. J'ai trouvé l'autre jour un vin de Californie qui titrait 15,8°. Je me souviens d'avoir goûté des cabernets francs de 14,5° en Anjou, après la récolte 1989. "Heureusement, me disait le vigneron, j'ai des cuves à 12° pour équilibrer." Aujourd'hui, il pourrait en faire une cuvée spéciale en priant pour se voir refuser l'agrément, refus garant d'une plus-value certaine.
La littérature des forums n'est pas en reste, avec l'apparition du terme de "fou furieux", qui désigne un viticulteur qui prend des risques ( "insensés, forcément insensés") pour vendanger à très haute maturité. Pas besoin dans ce cas de chaptalisation, je suppose, mais après, comme le dit Burtschy: "une seule cuiller suffit".
Cette évolution n'est pas saine. Elle n'est pas saine pour la santé. Elle n'est pas saine pour l'éducation des jeunes, dont pour beaucoup le palais ne reconnaît plus les nuances d'un vin de Bordeaux. Elle est suicidaire pour le vin français, qui voudrait lutter contre les tropiques. D'autant qu'elle se double d'un phénomène aussi pernicieux, qui est la présence de sucre résiduel dans les vins. Chez certains producteurs d'Alsace, les vendanges tardives ressemblent aux sélections de grains nobles, ce qui n'est pas grave; mais les vins secs ressemblent aux vendanges tardives, ce qui l'est plus. Des vins rouges sont sucrés. La combinaison de l'alcool, du sucre et souvent du bois étouffe le terroir et le raisin. Elle permet de boire les vins plus jeunes, "sur leur fruit", comme on dit, mais en se privant de la combinaison subtile qui fait les vins de garde. Au secours! Le sucré est la saveur la plus élémentaire. Les vins sucrés sans raison sont des vins régressifs, qui flattent un plaisir enfantin. L'acidité est devenue un gros mot. L'amertume, autrefois on disait la noble amertume, est synonyme d'ennui. Les notes de dégustation de certains vins de la Californie française évoquent une carte de fast-food.
Faut-il interdire la chaptalisation? Je n'en sais rien et ne suis pas compétent pour en juger. En tous cas, il est temps de réfléchir sérieusement à cet artifice, qui est souvent devenu un médicament pour soigner des moûts déséquilibrés. Laissons le mot de la fin au comte Chaptal, justement, dont le nom est passé à la postérité:
"Tous les vins naturels ont un bouquet plus ou moins agréable. Il en est même qui doivent une grande partie de leur réputation au parfum qu'ils exhalent. Le vins de Bourgogne est dans ce cas-là. Ce bouquet se renforce par la vétusté ( le vieillisement ). Il n'existe que rarement dans les vins très-généreux, ou parce que l'odeur de l'alcool le masque, ou parce que la forte fermentation qui a éténécessaire pour décomposer tous les principes, le fait disparaître ( dernière formule plus contestable)."
( Texte de 1819)