lundi, novembre 20, 2006

Les fruits de mer

www.Pafmag.com, le magazine qui a horreur de l’eau, me prend au débotté d’une grande marée. Avez-vous un article pour le numéro d’octobre ? Ben non, je suis en train de trier mes coquillages pour mon prochain livre sur les fruits de mer. Tout en me demandant qui va s’intéresser à la différence entre la montre fauve et la mactre coralline, à supposer que je m’y retrouve. Qu’est-ce qu’on boit sur les fruits de mer ? Du muscadet, basta. Ou, si on a peu d’argent, le blanc de blancs spécial fruits de mer de chez Soize, qui vous donne à l’estomac les mêmes embruns qu’un vent de force 7-8. Ou bien du Cour-Cheverny, le vrai de cépage romorantin, pas le Cheverny qui n’est qu’un sauvignon commun. Le Cheverny est le seul vin que je connaisse qui ait souvent un goût de sel, et qui soit bon en même temps.

Tiens, le sel ! Pas bête, le sel.

L’existence d’un coquillage ou crustacé, sur une plage abandonnée, ou non, est, on le devine, une rude épreuve : il faut manger, en évitant de se faire manger. Et si on y arrive, tenter de se reproduire en repérant bien son état du moment. Est-on mâle, femelle, hermaphrodite, le truc là-bas dans l’eau est-il à fuir, à manger ou à embrasser ? Le temps d’y réfléchir, plouf ! la mer vous a fait boire la tasse et vous entraîne à mille pieds de gastéropode. Mais le pire danger du marin, Mesdames et Messieurs, c’est le sel! Le sel corrosif, usant, qui vous entoure de toutes parts. La salicorne, qui est une plante mais n’est pas bête, se gorge d’eau douce pour empêcher le sel de la pénétrer. Les mollusques bivalves qui filtrent l’eau laissent le sel les traverser.
« J’affronterai ma peur. Je lui permettrai de passer sur moi, au travers de moi . Et lorsqu’elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin. Et là où elle sera passée, il n’y aura plus rien. Rien que moi. »
( in Dune, de Franck Herbert, un expert en matière de pénurie d’eau).

Car le sel est la grande peur de la moule. Petit aparté : tout le monde connaît la grande lutraire. Eh bien, j’en ai souvent trouvé dans des étangs très éloignés de la mer, alors que c’est une espèce bien maritime. Contrairement à la libertine crépidule, crepidula fornicata, elle n’a pas pu être introduite par les Liberty Ships qui se sont arrêtés à la côte. Elle est donc arrivée dans nos étangs par mystère. Mais il semble qu’elle y ait vécu paisiblement et sans sel. Du reste, intérêt gastronomique médiocre.

Des découvertes récentes semblent contredire celle du grand savant Alphonse Allais qui écrivit : « la mer est salée parce qu’elle est pleine de morues ». Il semblerait en effet que la morue, qui certes est très salée, ne soit qu’un demi-poisson, côté droit ou côté gauche, et que son dessalage n’entraînerait pas une augmentation de la salinité de la mer. A cela s’ajoute le fait indiscuté que la Méditerranée est plus salée que l’Atlantique et qu’on n’y trouve pas de morues. La Mer Morte est encore plus salée, mais elle est morte. Bref, il faut faire avec.

Une de mes grandes expériences en 2006 a été de déguster du homard breton à Prat ar Coum, sur la rive de l’Aber-Benoît. Cuisson simple, servi tiède, accompagné simplement de pommes de terre à l’eau et d’un muscadet vieilli un an dans l’aber, et dans un endroit tenu secret bien sûr, car c’est en pays léonard. Ca devient une habitude, car une de mes grandes expériences en 2005 était de déguster de la langouste dans les mêmes conditions. Eh bien, ce muscadet n’était même pas salé, et même l’addition ne l’était pas trop. Comme quoi le sel respecte les bonnes choses, même les fruits de mer qu’il entoure, puisque nous en salons l’eau de cuisson.

Par contre, un séjour plus prolongé peut avoir des effets néfastes : ainsi j’ai vendu en tant qu’expert en vins, l’année dernière à Saint-Malo, deux bouteilles présumées Gruaud-Larose dont l’histoire est intéressante : le 2 novembre 1871, le trois-mâts Marie-Thérèse quitta les quais de La Lune à Bordeaux chargé de vins, d’alcools, de faïences, etc… Il fit naufrage dans le détroit de Gaspar qui se trouve en Indonésie. Un peu plus d’un siècle plus tard, des fouilles permirent de retrouver de nombreux objets, dont ces bouteilles. Je les ai vendues 600 euros pièce, ce qui est peu pour un souvenir d’histoire, sans doute beaucoup pour un liquide qui a été décrit ainsi lors du changement tardif des bouchons, par le Professeur René Pijassou :
« Une dégustation faite par un panel de spécialistes a révélé un bouquet exceptionnel où l’on peut encore distinguer des arômes d’orange, de vieux cuir, d’épices, de tabac et de feuilles mortes. La couleur est un peu passée, tirant sur le marron-rose, mais très dense et profonde. En bouche, l’attaque est bien nette, avec un goût de vin marqué quoiqu’assez fuyant et d’une tenue manquant un peu d’ampleur et de persistance. Une forte teneur en sel est malgré tout évidente, comme l’ont confirmé les analyses faites à l’Institut d’œnologie de Bordeaux. Cependant, la surprenante résistance au vieillissement de ce vin pourrait faire penser au millésime 1869, excellente année à Bordeaux, ou bien encore à celui de 1865, millésime exceptionnel à Saint-Julien. Il convient malgré tout de signaler qu’après 120 ans d’immersion en milieu marin, la qualité de ce vin reste très aléatoire et ne peut être de ce fait garantie. C’est donc davantage la quête d’émotions et de souvenirs qui guidera ici le collectionneur. »

Bref, tout juste bon à accompagner le plateau de fruits de mer le plus cher du monde, si un richissime collectionneur décide de figurer dans le Guinness Book.

Du sel, certes il en faut, mais point trop n’en faut. Mais depuis que je fréquente assidûment les fruits de mer, je suis effaré de leurs pratiques. W.C. Fields disait : « je ne bois jamais d’eau, les poissons pissent dedans ». S’il n’y avait que les poissons ! Mais il faut bien conclure. Et si le vin était le sel de notre vie ?

lundi, octobre 02, 2006

Le métier d'expert

J'ai retrouvé ça, écrit quelques mois avant qu'on me propose de participer au développement de iENCHERES.com, devenu depuis le premier site de ventes publiques en Europe. Comme quoi seuls les imbéciles ne changent pas d'avis.

GILLES DU PONTAVICE , EXPERT EN VINS ,
qui n'assure aucune vente aux enchères sur le WEB
et qui vous explique ci-dessous pourquoi
il ne peut donner à vos listes
des réponses détaillées
sans vous avoir
causé

Mes estimations sur liste sont effectuées gracieusement si elles sont suivies d'une vente publique. Pour une expertise privée, ou concernant un partage une assurance, le taux appliqué est le taux normal de prisée:
2% sur le montant inférieur à 100.000 Frs de valeur.
1% au-delà.
Honoraires Hors taxes, TVA 20,60% en sus.
Je me déplace dans toute la France si besoin.

LES VENTES PUBLIQUES
Les ventes publiques sont des ventes aux enchères organisées par des commissaires-priseurs.La vente d'un bien est une affaire sérieuse qui suppose l'examen de plusieurs questions:
- A quel moment intervient le transfert de propriété entre le vendeur et l'acheteur ?
- Quelle est la garantie de l'acheteur de recevoir son bien, et qu'il soit conforme à une description , et qu'il n'y ait pas de frais imprévus à assurer ?
- Quelle est la garantie du vendeur d'être payé de son bien ?
Dans une vente publique intervient un commissaire-priseur qui est un officier ministériel assermenté. Il est garant du déroulement de la vente, du règlement au vendeur et de la délivrance à l'acheteur de ses lots. Ses affirmations sur la qualité des lots vendus l'engagent - ainsi que l'expert qui l'assiste- pour trente ans.

PROBLEME:
La vente aux enchères publiques pose souvent deux problèmes aux éventuels vendeurs:
1). Les frais élevés qui leur sont retenus.
2). L'obligation de déposer les vins à la salle des ventes.
Aux nombreuses listes de vins que je reçois, une possibilité bien plus simple serait pour moi de répondre par une simple offre de prix: j'achète, je paie, je prends les vins et je les revends. Ayant qualité de commerçant, je peux le faire, et je le fais si c'est votre désir. Mais dans ce cas, la négociation entre nous deux est d'un vendeur - qui veut vendre le plus cher possible - et d'un acheteur - qui veut acheter le moins cher possible. Objectivement, je suis votre adversaire dans la négociation. Et j'en connais plus que vous sur la question.
A une liste envoyée pour expertise, il ne m'est pas possible de répondre directement par une offre chiffrée: car si j'achète c'est en tant que commerçant, pour faire un profit - d'autant plus que ma fille veut prendre des leçons de piano... Si j'achète donc, c'est en-dessous du prix que je peux revendre, ce qui peut rester un prix très honorable compte tenu de mes connections et de la confiance dont je jouis - pour longtemps je l'espère- sur un marché où la parole a valeur de contrat.
Je réponds donc "en valeur d'expertise", c'est-à-dire en donnant le prix que je peux obtenir de vos vins auprès d'un marché sans cesse mouvant, multiple et international. Vendant des vins pour vous, je ne suis plus votre adversaire, mais votre allié. Et cela mérite mes 4%. Et aussi les frais de vente totaux, inférieurs à 20 %. Qui refuserait de se voir retenir 20%, s'il vend 40% plus cher - ou le double- par un système sécurisé ? Seule une vente publique m'a permis de vendre le 6 Novembre 1999 pour 6800 Frs un magnum de Vieux Château Certan 1928... estimé 2600-3000 Frs. En résumé: les frais que nous demandons sont amplement justifiés par la plus-value qu'apporte aux vins le fait d'être vendus:
- par un officier ministériel, donc avec toutes garanties quand au bon déroulement de la transaction.
- en vente publique, donc après une large publicité, l'envoi d'un catalogue auprès de très nombreux acheteurs, et la réception d'un peu partout d'ordres d'achat.
- et avec un expert, dont la parole est pour les acheteurs, même très lointains, l'assurance que le lot sera conforme à sa description.

L'obligation de déposer les vins à la salle des ventes est une obligation légale ( les vins doivent pouvoir être délivrés immédiatement) autant qu'évidente ( l'expert doit pouvoir vérifier la qualité de la marchandise). Les hôtels des ventes avec lesquels je travaille ( Alençon, Angers, Bayeux, Bernay, Bordeaux, Brest, Bordeaux, Chatellerault, Coutances, Deauville, Le Mans, Mayenne, Nantes, Pontivy, Quimper, Rennes, Versailles, en gros...) sont prêts à traiter, protéger et présenter ces vins... pour les revendre aux quatre coins du monde:
le NET nous permet d'amplifier notre clientèle, mais jusqu'à présent ne m'inspire aucune envie de changer de formule.
C'est pourquoi j'ai décliné des offres de garantir des ventes aux enchères sur Internet, ne pouvant assurer dans l'ivresse du virtuel la matérialité de ma tâche. Après tout, je ne suis qu'un vendeur de produits agricoles.

Virtuel justement... Mes catalogues de ventes publiques sont consultables sur ce site, et aussi les résultats de vente: en général, quelques jours après la vente, le résultat par lot, puis ensuite le résultat ramené au prix de la bouteille en francs français, et bientôt ( quand ?) en Euros. C'est un service rendu aux client, dont beaucoup d'étrangers qui veulent savoir pourquoi "ils n'ont rien eu"... et peut-être pourquoi j'ai vendu en 1998 dans une ville de 10.000 habitants une bouteilles de Petrus plus cher qu'à New York, Chicago ou Londres. Le tuyau qui véhicule les ordres d'achat n'a de valeur qu'avec un robinet Securit.

CONCLUSION DU JOUR:
Je pourrais considérer les listes de vins que vous m'envoyez comme ce qu'elles sont sans doute: vins à vendre, en échange du règlement. Et faire des offres en conséquence. J'ai décidé de ne pas le faire, même si cela peut souvent être une bonne affaire. J'ai une certaine opinion de mon métier, etc...mais la vraie raison est plus prosaïque: il est très inconfortable de donner un prix en tant qu'acheteur éventuel, puis de tenter de rattraper le coup en donnant une estimation supérieure en tant qu'expert.

CONCLUSION DE DEMAIN

A vos demandes d'estimations, je réponds donc:
- en donnant une valeur d'expertise correspondant au montant d'adjudication en vente publique.
- en donnant une estimation globale de la valeur de l'ensemble des vins: une estimation détaillée n'est donnée qu'après accord pour la vente, ou pour le moins après un contact téléphonique. Si elle n'est pas suivie d'une vente elle donne lieu à une facturation ( voir ci-dessus les tarifs, et le piano de ma fille...)
- étant entendu que je reste ouvert à toutes possiblités pour la vente de lots exceptionnels.

vendredi, juin 30, 2006

Les primeurs de Bordeaux de 1991 à 2004

Suite de la revue des anciens primeurs avant d'aborder le 2005.

Précision importante: les tarifs des primeurs pris en compte sont les tarifs "sortie de la Place de Bordeaux", toutes taxes comprises. Alors que les cotes de prix de VinorumCodex utilisés sont des estimations de prix de vente en vente publique, "au marteau", hors frais acheteurs. ce ne sont donc pas les mêmes prix. mais comme mes estimations sont aussi utilisées pour des ventes entre particuliers ou de particulier à professionnels, on peut en établir des comparaisons.


1991 est morose, marqué par une forte gelée tardive. Saint-Emilion est durement touché: pas d'Ausone, pas de Cheval-Blanc, pas de Figeac, pas de Canon. A Pomerol, ce n'est guère mieux: pas de Certan, pas de Lafleur, pas de Vieux Certan... et pas de Petrus.
Les vignobles qui s'en tirent le mieux sont les vins du Médoc proches de la Gironde, parfois excellents. Parmi les meilleurs? Latour, Las-Cases, Montrose, Cos d'Estournel, Margaux.
Les vins liquoreux ont subi la grêle en plus du gel. Peu de vin, mais Yquem est très beau.
Petite campagne de primeurs à petit prix. Les premiers crus valent 35 euros. Ils ont bien monté depuis.

Le millésime 1992 est très abondant, ce qui est fréquent après une année de disette. mais la maturité est inégale et beaucoup de vins sont dilués. Les meilleurs ont fait d'excellentes bouteilles de demi-garde: Léoville-las-Cases, Petrus, Latour, Haut-Brion, Angélus, Lafleur, Margaux, L'Eglise-Clinet, Gazin... Les vins liquoreux ont subi la pluie, quelques barriques correctes ont pu être rentré. Pas d'Yquem.
Sur 60 vins dont nous avons relevé le tarif primeur, en partant d'une base 100 pour ce tarif, la valeur actuelle s'établit à 174. Pas une forte hausse donc, mais la plupart des vins sont déjà bus.

1993 est de nouveau une année qui ne reste pas dans les annales: elle avait pourtant bien commencé, avec préocité et une belle maturité en août. Puis il a plu et replu. Les vins sont inégaux. Parmi les meilleurs: Léoville-las-Cases, Pavie-Macquin, Lafleur, La Misson-Haut-Brion, Petrus, Fieuzal, L'Eglise-Clinet, Clinet, Gazin, Haut-Bailly, Léoville-Barton, Le Bon Pasteur, Canon-La-Gaffelière, Troplong-Mondot, Le Pin, Tertre-Roteboeuf, L'Evangile, Trotanoy, et un nouveau qui demande et obtient des prix élevés dans l'incrédulité générale: Valandraut.
Les prix sont sages: pour 105 crus dont j'ai les prix en primeur, base 100, la valeur actuelle s'établit à 184.

On a un peu oublié 1994, qui nous avait beaucoup séduit. Il a encore beaucoup plu avant les vendanges, alors que le millésime s'annonçait exceptionnel. Un tri sévère a permis des grands vins, et j'aime beaucoup Pauillac. Parmi les meilleurs: Petrus, Troplong-Mondot, Latour, Lafleur, Montrose, La Mission-Haut-Brion, Léoville-las-Cases, Pichon-Lalande, L'Evangile, Valandraud, Canon-La-Gaffelière, Cos d'Estournel, Le Pin, Haut-Brion, L'Eglise-Clinet, Margaux, Angélus.
Les Sauternes sont rares, car il a plu, et pas très concentrés. Yquem est très bon, citons aussi Barréjats, Climents, Coutet, Rabaud-Promis.
L'augmentation des prix est de 15% environ, ce qui surprend à l'époque, mais plus aujourd'hui! Pour acheter un premier cru, il faut sortir 42 euros environ, soit de quoi acheter 5 centilitres du même vin en 2005. Sur 128 vins dont j'ai les prix, la valeur actuelle s'établit à 159.

Enfin vient 1995, une belle année avec de la maturité, du fruit, des tannins ( parfois trop). Les meilleurs? Petrus est royal. Ausone, Ducru-Beaucaillou, Pichon-Lalande, L'Eglise-Clinet sont somptueux. Et aussi L'Evangile, Calon-Ségur, Sociando-Mallet, Le Pin, Grand-Puy-Lacoste, Tertre-Roteboeuf, Trotanoy, Haut-Brion, Lafite, Valandraut, Léoville-las-Cases, Angélus, Cos d'Estournel. Et encore Rausan-Ségla, Léoville-Barton, Montrose, Branaire, La Mission-Haut-Brion, Cheval-Blanc, Gazin, Troplong-Mondot, Pontet-Canet, Pichon-Baron, La Fleur-Pétrus, Gruaud-Larose, Mouton-Rothschild, Malescot-Saint-Exupéry, Léoville-Poyferré, Haut-Bailly, Palmer, Lynch-Bages, Smith-Haut-Laffite.
De bons liquoreux, Yquem en premier: Clos Haut-Peyraguey, Fargues, Coutet, Guiraud, Sigalas-Rabaud.
Les prix montent et la Revue du Vin de France s'insurge:
"Il n'y a aucune raison logique dans une gestion stricte des proprétés pour augmenter de plus de 10%." Sans commentaire. Pour ma part, je vends du Valandraut primeur à 350 Francs français, et il augmente à toute allure. Les premiers crus valent 60 euros. Sur 210 crus dont j'ai les prix primeurs, la valeur actuelle s'établit à 157.

1996 est une belle année bordelaise, avec le triomphe des grands Médocs: des vins riches, tanniques et de grande garde. Les Graves sont très séduisants, tandis que le Libournais est plus inégal. Parmi les meilleurs, Lafite et Margaux sont des vins d'anthologie. Latour, Léoville-las-Cases, Pichon-Lalande, Ducru-Beaucaillou, Ausone, Montrose, Tertre-Roteboeuf, Pontet-Canet, Sociando-Mallet, Léoville-Barton, L'Eglise-Clinet, Petrus, Grand-Puy-Lacoste, Léoville-Poyferré, Cos d'Estournel. Et encore Smith-Haut-Laffite, Calon-Ségur, Troplong-Mondot, Pichon-Baron, Canon-La-Gaffelière, Lynch-Bages, Trotanoy, Rauzan-Ségla, Duhart-Milon, La Mondotte, Haut-Brion, Lafon-Rochet, Lagrange, Valandraud, Monbousquet, Pavie-Macquin, L'Evangile, Pape-Clément.
Les Sauternes tardifs sont très bons: Yquem, Lafaurie-Peyraguey, Guiraud, Coutet, La Tour Blanche, Raymond-Lafon, Doisy-Daëne.
Les prix montent sensiblement et la RVF annonce qu'ils "mettront les vins les plus recherchés hors du marché français". Pour les premiers crus, il faut compter 90 euros. Pour ma part, j'arrête de vendre des primeurs, qui ne me semblent plus intéressants, et je n'ai pas recommencé depuis.
Pour 200 vins dont j'ai les prix, la valeur actuelle s'établit à 112.

1997 commence bien et finit sous l'orage et les pluies. Il y a de bons vins, mais aussi pas mal de mauvais. Garde moyenne dans l'ensemble. Parmi les meilleurs: Petrus, Pavie-Macquin, Haut-Brion, Margaux, Cos d'Estournel ont un A ( un seul) sur VinorumCodex.com. Puis Trotanoy, Ausone, Tertre-Roteboeuf, Valandraud, Canon-La-Gaffelière, Nénin, Léoville-Las-Cases, L'Eglise-Clinet, Mouton-Rothschild, Lafite, Lafleur, Latour, Angélus.
Pour ls liquoreux, c'est une autre histoire: des vendanges très longues pour des raisins bien botrytisés, et enfin un très beau millésime. Si les prix augmentent, ce n'est que justice, d'autant que les quantités sont réduites. Citons Yquem et Climens, puis Guiraud, Sigalas-Rabaud, Coutet, Suduiraut, Lafaurie-Peyraguey, Rieussec. Et Raymond-Lafon, La Tour Blanche, Nairac, Doisy-Daëne, Rayne-Vigneau.
A millésime moyen, la recette de 1984: hausse générale. C'est d'ailleurs le seul millésime où Bordeaux reconnaît son erreur d'appréciation. Les premiers crus frôlent les 120 euros. La valeur des 205 crus dont nous avons le prix primeur, pour une base 100, s'établit aujourd'hui à 77. Vraiment une affaire pour spéculateurs ayant acheté de l'Eurotunnel!

L'été 1998 a été très chaud, puis il a plu. Ce qui a donné une vendange inégale, avec des vins douteux et de belles réussite, surtout en merlot. Pomerol prend sa revanche, et la hiérarchie des crus est bien marquée. Parmi les meilleurs vins, un grand Petrus, et Vieux Certan, Sociando-Mallet, Ausone, Mouton-Rothschild, Lafite, Haut-Brion, Cheval-Blanc, Gruaud-Larose, Pavie-Macquin, Trotanoy, Tertre-Roteboeuf, Pavie-Macquin, Léoville-Barton, La Fleu-Pétrus, Margaux, Latour, Palmer, L'Eglise-Clinet, Haut-Brion.
Les vendanges en deux temps ont donné des liquoreux fermes: Yquem, Rieussec, Sigalas-Rabaud, Climens. Et Suduiraut, Doisy-Daëne, Lafaurie-Peyraguey, Coutet, Rayne-Vigneau, Guiraud.
Les prix baissent - un peu- en Médoc: compter 100 euros pour les premiers. Pour 20 crus dont nous avons le prix en primeur, la valeur actuelle s'établit à 92.

Le millésime 1999 a été difficile pour le vigneron: de la chaleur et de l'humidité combinées, ce n'est jamais bon pour les raisins. Septembre commence beau, puis se gâte. Pourtant, les vins sont dans l'ensemble bien réussis. Parmi les meilleurs, Léoville-las-Cases, Petrus, Léoville-Barton, Pavie, Angélus, Palmer, L'Eglise-Clinet, Margaux, Lynch-Bages, Monbousquet, Lafleur, Ausone, Figeac. Et Pontet-Canet, Montrose, Valandraud, Chevalier, Sociando-Mallet, Ducru-Beaucaillou, Clinet, Les Forts, Le Bon Pasteur, Haut-Bailly, Hosanna, La Mondotte, La Mission-Haut-Brion, Tertre-Roteboeuf, Branaire-Ducru, Mouton-Rothschild, Lafite, Latour, Haut-Brion, Canon-La-Gaffelière, Cheval-Blanc.
Malgré les pluies, de beaux liquoreux: Suiduiraut, Climens, Rieussec, Yquem, Clos Haut-Peyraguey, Coutet, Guiraud, Malle, Lafaurie-Peyraguey.
Les prix ne sont pas à la hausse: 110 euros pour les premiers crus, dont Cheval-Blanc parvient à se détacher. Ausone est déjà nettement plus haut. Pour les 168 crus dont j'ai le prix en primeur, la valeur actuelle s'établit à 92 et va grimper tranquillement.

On récolte 2000 dans une athmosphère d'hystérie. Les trois petits rond sont synoymes de beaucoup de ronds pour les revendeurs. Votre serviteur est en reportage pour son prochain livre, La Cuisine des Châteaux du Bordelais. Nous déjeunons avec le comte de Lur-Saluces et du poulet mouillé de vieil Yquem. Repas des vendangeurs avec Corinne Mentzelopoulos à Margaux, avec Madame de Lencquesaing à Pichon-Lalande. Repas aussi chez Anthony Barton, Thierry Manoncourt, Alfred Tesseron, bref un automne de rêve! C'est le millésime du millénaire, même s'il n'est pas partout une grande année. Il y a beaucoup de vins qui ne me plaisent pas à la dégustation des primeurs. Un bel été a permis des cabernet-sauvignon mûrs et très complets. parmi les meilleurs vins, Ausone, Léoville-las-Cases, Petrus, Margaux, Latour, Lafite, L'Eglise-Clinet, Cheval-Blanc, Angélus sont de très grands vins. Puis Lafleur, Chevalier, Monbousquet, La Mondotte, Valandraut, Léoville-Barton, Sociando-Mallet, Figeac, Gruaud-Larose, Haut-Bailly, Pavie-Macquin, Montrose, Troplong-Mondot, La Mission-Haut-Brion, Tertre-Roteboeuf, Haut-Brion, Palmer, Mouton-Rothschild. Et La Couspaude, Rollan de By, Pape-Clément, Malartic-Lagravière, Pape-Clément, Brane-Cantenac, L'Evangile, Cos d'Estournel, Beau-Séjour Bécot, Clinet, Clos de L'Oratoire, Clos Fourtet, Vieux Certan, Ducru-Beaucaillou, Boyd-Cantenac, Laroze, La Tour Haut-Brion, Pichon-Lalande, Trotanoy, Armailhac, Hosanna, Nénin, Pavie, Pontet-Canet, tous de grands vins.
Les Sauternes ont sombré sous la pluie. Quelques rescapés des premières tries: Yquem, Sigalas-Rabaud, Climens, Clos Haut-Peyraguey. Et Lafaurie-Peyraguey, Malle, Coutet, Rieussec, Guiraud, Suduiraut.
Prix très élevés qu'on paye sans rechigner, même les non buveurs: 250 euros pour les premiers, 290 pour Cheval-Blanc, 320 pour Ausone. L'honnête Anthony Barton vend à prix correct son grand vin, voit le négoce faire la culbute sur son vin et, en parfait gentleman, ne s'en plaint pas. Pour les 342 crus dont nous avons le prix en primeur, la valeur actuelle s'établit à 97, mais cache de grandes disparités: en ne tenant compte que des 20 crus les plus chers, la valeur actuelle est de 117. Les grands vins augmentent et augmenteront, mais le gros de la troupe ne se vend pas bien cher: l'effet 2000 s'est limté aux vins stars.

2001 ne peut qu'être en retrait. L'année est inégale, chaud et pas chaud, avec des pluies. Je suis déçu par beaucoup de Saint-Emilion qui me semblent surextraits: on en ressort les gencives grenat! Bref, c'est inégal. parmi les meilleurs: Léoville-las-Cases, Lafite, Pavie-Macquin, Petrus, Léoville-Barton, Mouton-Rothschild, Pichon-Comtesse, Pichon-Baron, Lynch-Bages, Latour, Montrose, Valandraut, Giscours, La Tour-carnet, Smith-Haut-Laffite, Pape-Clément, Tertre-Roteboeuf, L'Eglise-Clinet, Le Pin, Haut-Brion, Trotte Vieille, Léoville-Poyferré, Hosanna, Margaux, Ausone, Rauzan-Ségla, Palmer, Malescot-Saint-Exupéry, Cheval-Blanc, Brane-Cantenac, Lafleur.
Les vins liquoreux sont tout simplement parfaits. Citons entre autres Yquem, Myrat, Lafaurie-Peyraguey, Sigalas-Rabaud, Rayne-Vigneau, Rieussec, Climens, Clos Haut-Peyraguey, Suduiraut, Doisy-Védrines, Coutet, Nairac.
Les prix baissent, bien sûr. Les premiers à 135-150 euros. Pavie tente de se glisser dans l'échappée. Pour les 330 vins dont nous avons les prix en primeurs, la valeur actuelle s'établit à 70, ce qui est très bas. Les vins sont encore largement disponibles.

On devine que 2002 ne sera pas facile à vendre. D'autant que l'été est triste et froid. Un bon mois de septembre a sauvé la vendange. Mais la qualité est très inégale. Parmi les meilleurs, citons Mouton-Rothschild, Ducru-Beaucaillou, Léoville-Barton, Cos d'Estournel, Lafite, Latour, Ausone, Tertre-Roteboeuf, Montrose, Léoville-las-Cases, Margaux, Petrus. Et Lynch-Bages, Pichon-Baron, Haut-Brion, La Mission-Haut-Brion.
En vins liquoreux, 2002, ce n'est pas du 2001, mais c'est quand même très bon. Citons Yquem, sûrement, Climens, Clos Haut-Peyraguey, Sigalas-Rabaud, Suduiraut, Guiraud, Fargues, Lafaurie-Peyraguey, Rieussec.
Les prix baissent: les premiers sont à 95 euros, mais Ausone et Cheval-Blanc presque deux fois plus chers. Pour les 260 vins dont j'ai le prix en primeur, la valeur actuelle s'établit à 70. Comme l'année précédente, les vins de garage ont perdu la moitié de leur valeur.

Bref, c'est la crise, et les caves sont pleines. Rien de mieux dans ce cas qu'un millésime du siècle et ce sera 2003. Canicule, mortalité dans les villes, volets fermés en Bretagne, on se souviendra de l'été. La presse enchaîne sur un millésime exceptionnel, alors que je pense plutôt à 1976. Vendange très précoce, gros tannins et vins de garde. Beaucoup manquent d'équilibre et restent durs. Ils ne sont pas encore notés sur VinorumCodex, ça ne presse pas. Citons Latour, Montrose, Petrus, Ausone, Certan de May, Cheval-Blanc, Cos d'Estournel, Ducru-Beaucaillou, Grand-Puy-Lacoste, Haut-Bailly, Haut-Brion, La Mondotte, Lafite, L'Eglise-Clinet, Léoville-Barton, Léoville-las-Cases, Margaux, Pavie, Pavie-Macquin, Sociando-Mallet, Trotanoy.
Les sauternes passent en force, puissants et concentrés: Yquem sûrement, Suduiraut, Climens, Coutet, Fargues, Guiraud, Sigalas-Rabaud.
Il est temps de remonter les prix: 240 euros pour les premiers, 80 à cent pour les seconds. Valeur actuelle pour 350 crus, toute relative, ces vins n'étant sur le marché que depuis peu: 84 pour une base de 100 en tarif primeur.

Tarif primeur qui restera longtemps affiché, d'ailleurs. Bordeaux ne se donne plus la peine d'annoncer que tout est vendu, et la campagne des primeurs 2004 s'ouvre sur de nombreux sites Internet par la page des 2003... guère plus chers qu'un an avant. ce phénomène se répètera au printemps 2006. C'est acquis: les primeurs se sont mal vendus.

C'st pour moi un plaisir de goûter les 2004. Un année abondante, mais froide, et des raisins pas trop mûrs. Bref, du Bordeaux classique. Les liquoreux sont en deça par manque de maturité. Yquem entre sur le marché des primeurs. La déjà relative solidarité entre les premiers crus explose définitivement: à chacun selon son mérite et la demande. Haut-Brion sort du lot.

Voilà terminée cette petite revue des derniers millésimes. J'aiguise ma plume pour parler des 2005. Il me faudra trouver de grands mots, car, personne ne l'ignore, c'est le millésime du siècle!

jeudi, juin 22, 2006

06-06-06= 12 66 à 12

Pour cet anniversaire si attendu des afficinados du chiffre, dont je ne suis pourtant pas, j'avais cependant décidé d'une réunion à douze pour goûter douze bordeaux de 1966. Grande année, mais qui fait son âge. Malheureusement, je n'ai pu trouver deux bouteilles que je connaissais: Latour, magnifique et encore jeune, et Haut-Brion, fabuleux de complexité.
On a fait avec ce qu'on a trouvé.

Quelques vins blancs divers pour se faire la bouche bretonne.

Laville-Haut-Brion 1966: deuxième dégustation de ce vin qui oscille entre le sec et le pas sec, avec un nez cireux et une bouche grasse. Pas très bon, mais très intéressant.

Monthélie 1966 d'origine inconnue, juste pour avoir un petit goût de pinot dans la bouche.

Résultats de la notation, les notes sur 30:

1
Ducru-Beaucaillou, 19,81. Une surprise pour moi, car c'était le seul vin dont je savais pertinemment qu'il venait d'une cave médiocre, chaude et sèche en été. Très complet.

2
Malartic-Lagravière, 19,17. A divisé l'assistance, mais c'est le troisième de mon palmarès personnel. Un hidalgo à l'espagnole, au nez charmeur de jardin, très sec voire maigre, franchement acide, avec une belle et longue finale. Superbe! et pas cher s'il traîne en salle des ventes.

3
Vin d'Oran Sénéclauze 1959, 18,16. Un pirate régulier de nos dégustations, que la plupart ont reconnu comme atypique. Je ne connais pas les cépages. Toujours très bon, à défaut d'être raffiné.

4
Cheval-Blanc, 17,19. Mon préféré perso. Un nez évolué et complexe, parfait en bouche.

5
Canon, 17,04. Le meilleur équilibre, finissant un peu étriqué, très bon cependant.

6
Nénin, 16,25. Je savais qu'il avait réussi en 66. Il est cependant un peu court et étroit.

7
Saint-Georges, 16,06. Bon classement pour ce St-Georges-St-Emilion, que personnellement j'ai trouvé trop léger et très court.

8
Cos d'Estournel, 15,6. Assassiné par mes commensaux alors que je l'ai classé second, c'est comme ça. Pour moi le nez le plus noble de l'ensemble, avec une note de fumé, et de la vigueur.

9
Lafite, 15,22 . Bouchon suspect. Moyen en tout, sauf une belle finale. J'en attendais mieux et je suppose un problème de conservation.

10
Pichon-Baron, 14,8. Un beau nez de Médoc qui gagne à l'ouverture, mais un vin qui s'écroule en bouche. Dommage.

11
Haut-Batailley, 13,8. Beau nez, acide en bouche, court en tout. Peu d'enthousiasme.

12
Léoville-Barton, 11,5. Nul, trop vieux.

Bien sûr, ces vins sont anciens, ils ont été achetés aux enchères, et même si j'ai pris grand soin de ne prendre que des vins venant de bonnes caves ( sauf Ducru... sorti premier), 1966 marque son âge. C'est un très bon millésime, mais la plupart des vins semblent fatigués. Je remarque que la bonne dose d'acidité de Malartic l'a tenu debout, ce qui me conforte dans mon opinion que les vins très mûrs sont plus fragiles... et que les millésimes moyens peuvent parfois vieillir aussi bien que les bons.

Pour suivre et vider les bouteilles: terrine de chevreuil maison, puis une très belle bouteille de Vosne-Romanée Les Suchots 1971 de chez Leroy, le rêve, et quelques flacons inégaux mais amusants d'alcools du XIX° siècle.

Je vous conseille de finir vos 1966.

mardi, avril 18, 2006

De l'intérêt des primeurs

VinorumCodex donne des estimations de la valeur de vente des vins en vente publique, ou entre particuliers, ou encore de particulier à professionnels. Par exception, la cote de l'année suivant le millésime de récolte est la basée sur le prix de vente en primeur TVA comprise.

Au départ, ce type de vente était réservé aux professionnels. Son principe est de transférer au négoce une part du poids financier de l'élevage. Le bénéfice est pour le négoce de s'assurer la disponibilité des vins en bouteille à un tarif avantageux, et pour la propriété d'avoir une avance financière au lieu de travailler à une échéance de trois ans.L'ouverture de ce marché aux particuliers leur a permis d'acheter le plus tôt possible des vins rares ou spéculatifs et de réaliser de très bonnes affaires en sécurité.
Mais le passage d'un petit marché à un marché de très nombreux acheteurs a entraîné une hausse qui rend l'affaire plus hasardeuse. Parallèlement, le marché des foires au vin donne une seconde cote dès la mise en bouteilles. Si les vins y sont moins chers qu'en primeur, il est évident que le millésime a été vendu trop cher.
Dès lors que le négoce revend une grande partie de ces vins dans la foulée, sa charge de "portage" du millésime se transforme en une opération financière à court terme où tous les coups peuvent être permis, comme de déclarer tous les deux ans que le millésime est exceptionnel, ou de revendre 60 euros un vin acheté 30 une semaine avant si la demande est forte. Dans ce cas, bien sûr, le propriétaire est légitimement furieux et ne manquera pas de monter son prix à la prochaine campagne.

Depuis le millésime 1997 vendu trop cher, l'intérêt d'acheter des vins en primeur a baissé, sauf exceptions. Du coup, les marchands vendent encore le millésime 2004 en avril 2006. L'adage qui veut qu'en achetant tous les ans en primeur on est gagnant en moyenne est sans doute encore vrai, mais le bénéfice s'est beaucoup réduit. Reste, c'est sûr, la tranquillité et la sécurité pour l'acheteur.

Le marché est mondial et instable. Il y a plus à gagner à travailler des primeurs qu'à entretenir un stock coûteux. Il est plus avantageux de traiter le vin comme une valeur boursière que comme une marchandise.
Dans cette optique, chaque millésime doit être mis en scène: rédactionnel dans la presse à l'automne, dégustation géante début avril, alors que les vins sont encore très jeunes et peuvent bouger par la suite, campagne de teasing sur les prix, enfin sortie des tarifs. Puis un millésime chasse l'autre.

Les cotes que je publie permettent de garder la mémoire des campagnes en primeur. En général, les cotes de www.VinorumCodex.com sont celles du marché des enchères en prix d'adjudication, valant aussi pour des ventes entre particuliers ou de particuliers à professionnels, donc dans un marché ouvert. Les prix des primeurs sont moins fixés sur la demande: ils sont fixés par la propriété, augmentés de la marge du négoce, et ensuite ça passe ou ça ne passe pas. Il est quasiment impossible de baisser le prix si les acheteurs n'en veulent pas. Depuis quelques années, la concurrence y a fait son apparition, et par exemple les prix des premiers crus peuvent varier à la revente. Auparavant, les premiers sortaient tous au même prix par accord tacite de la Place de Bordeaux. L'éclatement de ce consensus a été un signe fort de la dérégulation.

La valeur de ces cotes de vente en primeur n'est donc pas la même que les autres cotes, qui sont mes propres estimations. Mais c'est le seul prix dont on puisse disposer pour des vins qui ne sont pas encore matériellement disponibles. Il permet des constatations intéressantes.Je donne des cotes TTC, les vins étant le plus souvent vendus hors taxes. Et je donne le meilleur prix que j'ai pu trouver. Je donne aussi maintenant des prix pour des vins d'autres régions, la vente en primeur s'étant largement répandue. Ce qui fera pour un millésime comme 2005 environ 700 vins cotés.

Les primeurs de Bordeaux de 1984 à 1990

Le millésime 1984 n'est pas très abondant, pas mûr et pas très bon sauf quelques cabernets, dont l'excellent Margaux dopé au vin de presse. Ausone n'embouteille pas son vin. La RVF le qualifie de "lugubre"! N'empêche, il faut bien vendre les Bordeaux. Alors on prend une décision courageuse: hausse massive des tarifs. Et ça marche!
Les plus anciens d'entre nous se rappelleront que la même statégie avait été appliquée en 1894, avec le même succès.

Les 1985 sont dans l'ensemble très bons, avec quelques vins rouges exceptionnels dont: Certan de May, Cheval-Blanc, Cos d'Estournel, Haut-Brion, La Conseillante, Lafite, Lafleur, L'Eglise-Clinet, Léoville-las-Cases, Le Tertre-Roteboeuf, Margaux, Mouton-Rothschild, Petrus... Les vins sont très bons, et les prix baissent, c'est comme ça. La vente en primeur est encore en majorité l'affaire des professionnels. Les Sénéclauze vendent directement leur Marquis de terme à 83 Frs TTC. A Bordeaux, le Club Vinophile de Conseil vend déjà des primeurs...

Vient 1986, un vrai beau millésime bordelais avec des cabernets magnifiques. 20 cadors? Certan de May, Clerc-Milon, Cos d'Estournel, Grand-Puy-Lacoste, Gruaud-Larose, Lafite, Lafleur, Léoville-las-Cases, Lynch-Bages, Margaux, Montrose, Mouton-Rothschild, Pichon-Lalande, Petrus, Rausan-Ségla dont c'est le retour, Vieux Certan... et de grands liquoreux, Yquem bien sûr, et Climens, Coutet madame, Fargues, Lafaurie, Raymond-Lafon...Les vins ne sont pas chers: Fieuzal à 85 Frs TTC., par exemple.

1987: votre serviteur, alors restaurateur, vend des primeurs. Année médiocre. Une sélection? Clinet, Margaux. Rausan-Ségla n'embouteille pas ses vins, ce qui lui fait plus de renommée que d'avoir réussi en 1986. Il a beaucoup plu au moment des récoltes. Beaucoup de vins ratés, et pas mal délicieux dès la mise, qui ont fait de parfaits vins de restaurant. Le négoce ne se bouscule pas pour les prendre, et on trouvera plus tard des crus classés à 49 Frs en grande surface, dont personne à Bordeaux n'avoue être le fournisseur. Je vois dans ce millésime l'origine des foires au vin .Moi, je vends Cos à 95 Frs, Fieuzal à 53 Frs, Léoville-Barton à 67 Frs, Haut-Brion à 178 Frs, Margaux à 181 Frs, le tout hors taxes.

1988 est une bonne année classique, vendue un peu plus cher que 1986. Pas toujours: Fieuzal à 85 Frs TTC. 20 cadors? Certan de May, Chevalier, Lafite, Lafleur, La Fleur de Gay, La Mission-Haut-Brion, Larmande, Latour, L'Eglise-Clinet, Léoville-las-Cases, Le Tertre-Roteboeuf, Mouton-Rothschild, Petrus, Rausan-Ségla, Vieux Certan. Les Sauternes aussi sont plus chers, mais ils le méritent largement.

1989 est une année très chaude et sèche. Idéal pour les Sauternes. Les rouges sont très bons dans l'ensemble, avec des réussites exceptionnelles. 20 cadors? Ausone, Beauséjour-Bécot, Canon, Cheval-Blanc, Clinet, Cos d'Estournel, Gazin, Grand-Mayne, Figeac, Haut-Brion, La Conseillante, La Dominique, Lafite, Lafleur, La Mission-Haut-Brion, L'Angélus, Latour, Le Bon Pasteur, Léoville-las-cases, Le Pin, Le Tertre-Roteboeuf, L'Evangile, Lynch-Bages, Margaux, Montrose, Palmer, Petrus, Pichon-Baron, Pichon-Comtesse, Sociando-Mallet, Troplong-Mondot.
Les prix montent sacrément. Rapportés en euros et TTC, quelques prix de vente: les premiers crus à 63 euros, les super-seconds à 35-40... mais Barton à 15, Clerc-Milon à 14, Larmande à 13, Gloria à 12, Marquis de Terme à 11, Lafon-Rochet à 10, Brillette à 9, Camensac à 8, Fourcas-Dupré à 7, Potensac, hé oui, à 6, Patache d'Aux à 5...C'est depuis le millésime 1989 que VinorumCodex donne les prix de vente en primeur. Pour 1989, 142 prix primeurs.
Pour une base 100 au printemps 1990, l'indice en 2005 est de 237.

1990: troisième grand millésime consécutif en sauternais. De grands vins rouges, riches, mais peu acides et dont beaucoup ont fatigué. 20 cadors? Ausone, Beau-Séjour Bécot, Beauséjour-Duffau, Canon, Canon-La-Gaffelière, Certan de May, Cheval-Blanc, Clinet, Clos Fourtet, Cos d'Estournel, Figeac, Gazin, Grand-Puy-Lacoste, Gruaud-Larose, Haut-Brion, La Conseillante, La Dominique, Lafite, Lafleur, La Mission Haut-Brion, L'Angélus, Latour, Le Bon Pasteur, Léoville-Barton, Léoville-las-Cases, Léoville-Poyferré, Le Pin, Le Tertre-Roteboeuf, L'Evangile, Lynch-Bages, Magdelaine, Montrose, Mouton-Rothschild, Pape-Clément, Pavie, Petrus, Pichon-Baron, Rausan-Ségla, Saint-Pierre, Sociando-Mallet, Troplong-Mondot, Vieux Certan... ça fait déjà une grosse vingtaine.
C'est vraiment l'année où acheter du vin en primeur. Belle qualité, donc les prix baissent, d'autant que la récolte est abondante. On peut toucher les premiers crus à 50 euros TTC, et Vieux Certan à 30, Palmer à 25, Magdelaine à 20, L'Angélus à 19, Beychevelle à 18, Les Forts de Latour à 17, Calon-Ségur à 16, Beau-Séjour Bécot à 15, Barton à 14, Soutard à 13, Sociando-Mallet à 12, Gloria à 10, Poujeaux à 9, Roc de Cambes à 8, Potensac à 7, Camensac à 6, et Beaumont à 5... A 19 euros, c'eût été une bonne idée que de prendre du Montrose.
A l'automne 1991, un marchand me propose du Cheval-Blanc 1990 autour de 400 francs. Il en a une dizaine de caisses sur le dos et pense avoir payé trop cher!Voici comme ci-dessus l'indice des 1990 dont nous avons un prix primeur sur VinorumCodex.
Sur 148 vins cotés, et une base 100 au printemps 1991, l'indice en 2005 est de 292, ce qui fait une belle plus-value qui cache des écarts de 1 à 10 sur certains vins.

A suivre...

lundi, mars 27, 2006

Pourquoi la notation VinorumCodex ?

Publié pour la première fois le 3 avril 2005

La notation utilisée par www.VinorumCodex.com est un système qui combine une note par lettres de A à E et un nombre de lettres variant de 1 à 5. Par le panachage des lettres, ce système permet 86 combinaisons différentes.
Chaque réponse sur VinorumCodex.com, donne la combinaison de lettres et son commentaire.
J'ai imaginé ce système en 1993 quand j'ai commencé à éditer une petite lettre d'information appelée Enchères et en Vins, qui a finalement donné naissance à la base de données VinorumCodex.
La raison était que je n'étais pas satisfait des deux systèmes de cotation existant. Le premier est un système par étoiles, utilisé notamment par le Master of Wine anglais Michael Broadbent, qui permet une vingtaine de cotations différentes. Le second est une cotation en points sur une échelle de 100 points, utilisé notamment par le magazine américain Wine Spectator et par le critique américain Robert Parker dans son magazine The Wine Advocat, qui permet une trentaine de cotations différentes.
L'objet de cet article est de faire une analyse de chacun de ces systèmes. Il a été écrit avant la sortie du film Mondovino. Les exemples pratiques sont tirés de deux ouvrages emblématiques :
Le livre des millésimes, Les grands vins de France, de Michael Broadbent, Editions Scala, 1993.
Le Guide Parker des vins de France, de Robert Parker, Solar, 2001.
Pour m'en tenir à des ouvrages que le lecteur français peut trouver, j'ai utilisé ces deux ouvrages dans leur traduction française. Même si les auteurs restent responsables des traductions, l'utilisation des versions françaises doit nous rendre indulgents envers l'indigence possible du texte. Ces deux ouvrages ne parlent que des vins français, ce qui est bien sûr réducteur. Pour gagner en concision, j'utiliserai parfois dans cet article les abréviations MB et RP pour désigner ces deux grands écrivains du vin.

Michael Broadbent est aujourd'hui un vieux monsieur. Anglais, parfait gentleman, il a acquis sa notoriété en dirigeant le département Vins de la maison de ventes Christie's à Londres et un peu partout dans le monde. Il est aussi francophile : " J'admire les Français, leur goût, leur indépendance intellectuelle, leur gastronomie et par-dessus tout, leurs vins ".
Robert Parker est avocat. Passionné de vin, il a lancé une lettre d'information qui a connu un grand succès et donné lieu à de nombreux ouvrages. Il est aussi francophile. Il va de soi que, personnellement, je me sens plus proche de Monsieur Broadbent que j'admire, que de Monsieur Parker que je respecte.
Le métier d'expert consiste à pouvoir donner une estimation de prix pour n'importe quel vin en bouteille, et si possible une estimation de la qualité. Le métier de critique exercé par RP s'inscrit dans une logique consumériste et donne des conseils d'achats et de consommation des vins. L'expert est historien, le critique suit d'abord une actualité.

Voici maintenant une analyse de ces deux ouvrages.

INTRODUCTION

L'introduction de Broadbent est courte : quelques phrases sur son amour du vin, la notion de millésime mise au centre du propos, le système de notation, la dégustation. L'introduction de Parker est un peu plus longue. Elle donne le plan de l'ouvrage, décrit le système de notation, explique la déontologie du critique : indépendance, avec une référence à l'éternel candidat à la présidence des USA Ralph Nader, courage, expérience, responsabilité, franchise.

COTATION DES VINS

C'est indéniable, une note de qualité d'un vin, quelle qu'elle soit, est réductrice : d'une part, elle est établie à un instant de la vie de ce vin, qui est né, vit et mourra ; d'autre part elle est personnelle, ou tout au plus issue d'un groupe de dégustateurs, et non scientifique. Tant mieux ! C'est ce qui permet de classer les grands vins au rang des oeuvres d'art, et non au sein de la production agricole de qualité, ce qu'ils sont à leur fabrication. Cette dimension spirituelle du vin n'échappe pas à nos deux auteurs :" Les vins sont comme les êtres humains, variables à l'infini, fascinants à l'extrême ". MB" (...) les grands vins, comme la grande musique ou la peinture de haut vol, font l'unanimité, même s'il est pratiquement impossible d'en donner une définition précise ". RP
Comme tous les amateurs, nos deux critiques ont une haute idée du vin. Pour Robert Parker, c'est un produit de l'activité humaine parmi les plus nobles. Pour Michael Broadbent, c'est quasiment un être vivant.
Ce produit, reste à en donner connaissance. Le discours sur le vin a considérablement évolué au XX° siècle. Très timide au XIX° siècle, il donnait seulement quelques indications générales. Il est aujourd'hui pléthorique, et nous en donnerons quelques exemples. Mais aucun media donnant une critique des vins ne saurait aujourd'hui se passer d'une synthèse, d'une qualité résumée en quelques caractères typographiques. On peut le regretter, mais c'est ainsi.Voici donc les raisons pour lesquelles MB et RP ont choisi le leur.

MB utilise dans ses dégustations une grille chiffrée : " (...) sur 20 : 3 points pour l'aspect, 7 pour le nez, 10 pour la bouche et l'impression d'ensemble ". Il complète cette note sèche par des impressions écrites dans de petits carnets. Il pense que l'erreur est humaine et " les variations infinies ". Il a donc gardé pour lui ses chiffres et donne comme notes des étoiles, de 0 à 5, de mauvais à exceptionnel. L'espérance de vie d'un vin est indiquée par la mise entre parenthèses d'étoiles, ainsi : ***(**) est traduit par : " pas encore complètement épanoui, mais déjà agréable à boire. Sera sans doute exceptionnel à terme ". Sitôt annoncée cette notation simplifiée, MB semble regretter sa sécheresse, et rajoute souvent un commentaire.

RP utilise dans ses dégustations une note chiffrée élaborée d'une façon plus complexe. Chaque vin existant se voit attribuer 50 points, plus : - une note sur 5 points pour la couleur et l'apparence ( " puisque, aujourd'hui, la plupart des vins sont bien vinifiés (...), la plupart obtiennent 4 ou même 5 points). - une note sur 15 points pour le bouquet. - une note sur 20 points pour les sensations et la finale en bouche. -une note sur 10 points pour l'impression d'ensemble et l'aptitude au bon vieillissement. Le classement des vins est fait selon une grille de 50 à 100 points. Plus de 95 points, le vin est qualifié d'extraordinaire. De 90 à 95 points, ce sont d'excellents vins. De 80 à 89 points, ce sont des très bons vins, surtout de 85 à 89 points. RP ajoute " j'en ai plusieurs dans ma cave personnelle ". De 70 à 79 points, les vins sont de niveau moyen. En-dessous de 70 points sont les vins de qualité insuffisante.

J'ai passé des années à réfléchir sur les systèmes de cotation. Je ne suis sans doute pas le seul, mais une formation de sociologue avec option statistique m'a amené à m'interroger sur le sens de ces systèmes. La première remarque que je me suis faite et qui n'a pas varié est que le chiffre aujourd'hui l'emporte toujours sur la lettre, et encore plus sur l'étoile, à l'exception notable du guide Michelin. Pourquoi ? Nous vivons dans un monde de chiffres. La capacité de réussite d'un sport se mesure à sa capacité à produire du chiffre. Classements intermédiaires, statistiques, chiffres des salaires ont grandement contribué à la réussite du football, alors que le rugby se contentait de poules, de l'anonymat des marqueurs et de la joie de jouer. C'est ainsi. Je pense donc que la notation par chiffres est la plus populaire et la plus demandée, c'est pourquoi j'ai choisi en ce qui me concerne une notation par lettres.

Et le chiffre, qu'en pense Michael Broadbent ? La réponse est cruelle : " Le système de notation sur 100 points qui a été adopté récemment par un certain nombre d'auteurs et de journalistes n'est pas satisfaisant. Il n'est pas honnête, c'est certain, mais de plus, il juge comme s'il était possible de travailler dans des conditions hypothétiquement pures, objectives et toujours identiques ". " Il n'est pas honnête, c'est certain, mais... " est une phrase qui m'a transformé en fan absolu de Monsieur Broadbent, même si j'aime souvent des vins qu'il n'aime pas, ou l'inverse.

Robert Parker n'est pas de cet avis. Il prévient de façon assidue le lecteur que les notes ne sont pas tout. Cependant " elles permettent au lecteur de juger de la manière dont un critique professionnel classe le vin parmi ses pairs ".Dans des ouvrages plus anciens, RP précisait : " Quelle est la différence entre deux vins, tous deux très bons, notés respectivement 86 et 87 ? La réponse est simple : on s'aperçoit, en les dégustant côte à côte, que le vin noté 87 est légèrement meilleur que l'autre ". Il pose ainsi une question importante pour cet article : qu'est-ce qu'un vin meilleur qu'un autre ? est-ce qu'on peut déguster un Muscadet 87 à côté d'un Pauillac 86 et trouver l'un meilleur que l'autre ? La première réponse, découlant de ce qui est plus haut, est que cela dépend du statut que l'on accorde au vin. Est-ce une production agricole dont on peut classer la qualité ? Est-ce une oeuvre d'art qu'on peut coter sur une échelle ? Il est temps de parler dégustation.

DEGUSTATION DES VINS

Le vin n'est pas nécessaire à la vie des hommes, mais ils s'en passent difficilement. Il a une longue histoire. Il est lié au pouvoir, à la religion, à l'argent. Avant le terroir, c'est la politique qui a décidé où l'on produisait du bon vin. Le goût du vin a beaucoup évolué. La dégustation a pris beaucoup d'ampleur depuis cinquante ans. Dans la mimique d'un vigneron goûtant le vin se trouvaient sans doute les dix lignes de commentaire qu'on en tire aujourd'hui, mais cela n'était pas transmissible hors d'un cercle d'initiés. L'Art de faire le vin s'est doublé de L'art de parler du vin. Et pour cela, il faut le déguster.
Expert de l'une des deux grandes maisons de ventes publiques au monde, Michael Broadbent a eu l'occasion de déguster d'innombrables bouteilles. Il précise qu'il n'est pas un stakanoviste de la dégustation, car " ce n'est pas mon occupation principale ". C'est dans le texte qu'on découvre les circonstances des dégustations. Elles souvent drôles, car MB est un auteur plein d'humour. " dégusté au Château... à l'exceptionnelle dégustation de Lafite de X... avant une vente... à un déjeuner... à un dîner... en compagnie de jeunes sommeliers... ". Les rapports avec les propriétaires ou les négociants sont souvent relatés, parfois aussi le plat qui accompagnait le vin. MB précise dans son livre que les commentaires de dégustation " que vous lirez correspondent exactement à ce que j'ai écrit au moment de la dégustation ", alors que les notations par étoiles ont été faites ultérieurement. Même si l'on est le premier expert au monde, goûter le vin coûte cher, en achats de bouteilles, en déplacements, en temps. MB tire une bonne partie de ses commentaires, surtout sur les millésimes anciens, de dégustations géantes organisées par des amateurs fortunés. Dans son credo de l'introduction, il écrit qu'il boit du vin tous les jours, à tous les repas sauf le petit déjeuner : " mes amis le savent ". Michael Broadbent a beaucoup d'amis.

Robert Parker est un critique indépendant. Son honnêteté n'est pas contestée. Avocat du vin, il en est aussi juge :" le rôle du critique est de prononcer des jugements fiables ", écrit-il. RP insiste sur la responsabilité du critique qui doit respecter une stricte déontologie, n'accepter jamais le voyage offert ou l'hospitalité, et acheter la majorité des vins qu'il goûte. Il goûte seul : " J'estime que ( les commentaires de dégustation) émis par le consensus d'une commission sont les plus insipides et les plus trompeurs ". " Les collégialités apprécient rarement les vins de caractère ". Quand RP vient à Bordeaux goûter les vins primeurs, nous, experts ou négociants, ne le voyons pas. On lui porte les échantillons dans son hôtel. Il n'est pas facile de faire goûter ses vins par Robert Parker si l'on est un petit producteur.IL n'y a pas de suite, car la suite serait un roman, et, comme l'a dit Scott Fitzgelald, "on peut écrire une nouyelle en sifflant une bouteille, mais pour un roman...

Primeurs 2004

Publié pour la première fois en avril 2005.

Bon, les primeurs 2004.
Les premiers prix sortent, avec Valandraud à 50% de l'année dernière. Jean-Luc Thunevin me dit que, quand on vend son vin cher, on peut bien le vendre beaucoup mois cher; d'autant que la récolte est importante. Qu'est-ce que j'en pense? J'aime bien aller goûter les primeurs chaque année. Cela permet de visiter des châteaux qui se mettent en quatre pour recevoir les 6000 visiteurs ou plus. J'ai pu cette année apprécier l'efficacité à Clarke, la sérénité de Gruaud-Larose, la beauté de L'Evangile, la générosité de La Couspaude, etc... Certes les traiteurs servent toujours la même chose, mais c'est gratuit.Mais, je le confesse, je n'ai pas la capacité pour juger de l'avenir d'un vin à partir de son état après quelques mois de barrique. Certains vins n'avaient pas terminé leurs malos. Il est sûr que les maîtres de chai et les viticulteurs, qui sont nombreux à ces dégustations, sont les mieux à même de savoir l'avenir d'un vin, même un autre que le leur.C'est un millésime qui donnera sûrement de très bonnes bouteilles, mais souvent dans un corps modeste qui les rendra vite agréable. Les années en demi-teinte à Bordeaux peuvent vieillir avec beaucoup d’élégance, mais il est tôt pour savoir quoi conseiller ; VX ne publie de notes que sur les vins embouteillés.

Des vins rouges présentés à l’Union n’avaient pas fini leurs fermentations malolactiques. Beaucoup ont préféré ne pas présenter leurs vins. Une fois de plus la spirale infernale se referme sur Bordeaux :
« Mes vins ne sont pas prêts.
- Si tu ne les présentes pas, tu ne les vendras pas. »

Les dégustations se font trop tôt, tout le monde le sait. A qui la faute ? Le Must est de passer dans les propriétés avant, pour publier ses critiques avant tout le monde. Les critiques publiées semblent préférer le cabernet-sauvignon. Pour une fois, nous trouvons qu’il y a de très bons merlots. Le secteur sud de Pomerol semble particulièrement réussi. Au passage, quelques crus qui nous ont beaucoup plu : Troplong-Mondot, Figeac, Virginie de Valandraud dans la tradition de l’appellation, L’Evangile, La Conseillante, Clinet, La Pointe, Pape-Clément, Chevalier, Haut-Bailly, Fieuzal, Malartic-Lagravière, Lynch-Bages, Pichon-Baron, Langoa-Barton, La Lagune, Poujeaux, Gruaud-Larose. Les Graves blancs sont simples, mais présentés à un mauvais moment. Fieuzal et Chevalier ont beaucoup plu, ce n’est pas une grande surprise. Les Sauternes donnent de belles bouteilles pures, d’une liqueur moyenne, avec mention à Guiraud beau et masculin, et Coutet, Malle, Rieussec…Vous en lirez plus chez les critiques professionnels.

Côté prix, les toutes premières sorties sont presque au tarif de 2003. Valandraud a donné le ton en sortant à la moitié du tarif de l’année dernière, il n’est pas sûr qu’il soit suivi. La précédente News vous a annoncé le nouveau service de VinorumCodex : nous suivrons la campagne des primeurs en donnant pour chaque vin en vente le meilleur prix que nous avons trouvé ou qui nous a été signalé par le producteur. Pour consulter ces tarifs, tapez dans le champ Recherche 2004 et le nom du cru, ou de l’appellation, ou de la région. VX recense actuellement 125 crus de 2004.
L’expérience de 2003, menée avant l’ouverture de la base de données, laisse à penser que nous dépasserons les 800 références pour 2004. En ce qui concerne le millésime 2003, année très chaude qui a produit de très grands vins et d’autres qui seront des 1976, nous rappelons que beaucoup de crus sont encore en vente en « vieilles » primeurs au même tarif que l’an passé….

mardi, février 14, 2006

Château de Valandraud

Publié pour la première fois en avril 1994
Château de Valandraud

Le très rare et très cher Château de Valandraud, dernière star du merlot, illustre bien l'émergence de nouveaux vins dans le paysage bordelais, des vins très bons, très rares, très chers !
Le château de Valandraut est le dernier-né des nouveaux Bordeaux de haute couture apparus depuis quelques années dans le Libournais. Le domaine a été constitué par Jean-Luc Thunevin, négociant en vins de Saint-Emilion, sur deux groupes de parcelles totalisant 1,8 hectare, l'un en haut de la Côte Pavie, le second sur un affleurement de graves profondes près du château Monbousquet, entre Saint-Emilion et Libourne.
Le vignoble est conduit de façon très traditionnelle, plus comme un jardin que comme une entreprise. Vendanges vertes autant que nécessaire, palissage des vignes "selon la physionomie de chaque pied", J.L. Thunevin a choisi de faire le meilleur vin possible sans souci du coût.
La production très limitée permet d'ailleurs de ne pas s'en soucier, car le marché du vin est ainsi fait qu'un produit très rare et très bon trouve immédiatement un public.
La vendange se fait manuellement au meilleur moment, en attendant le bâchage des vignes sérieusement envisagé ! Toute la vendange est éraflée à la main, foulée à la main, puis fermente dans des cuves en bois ouvertes à la bourguignonne, à température élevée, avec des pigeages au bâton; on casse le chapeau de marc qui se forme sur le dessus du mout pour le plonger dans la cuve. Les fermentations malolactiques se font dans des barriques de chêne neuves, où le vin séjourne 14 à 18 mois. Il est embouteillé sans filtration, après un collage aux blancs d'oeufs léger.
Ces façons de travailler comportent des risques ( fermentation à température élevée notamment) récompensés par une matière plus dense, une concentration plus importante que dans un autre vin.

Le propos de Valandraud est bie de faire un autre type de vin, comme les Bourgogne Leroy sont d'autres Bourgogne, la Coulée de Serrant un autre Savennières. Le merlot est le cépage dominant à 75%, épaulé par le canernet-franc.
L'effet des rendements de 30 Hl/hectare est encore limité par saignée du moût et par la présence d'un second vin. Ces rendements pratiquement deux fois inférieurs à ceux de grands domaines bien tenus sont la condition impérative d'obtention de ces vins très concentrés et puissants que se développent dans le Libournais: Le Pin et La Fleur de Gay en Pomerol, Le Tertre-Roteboeuf et Valandraud à Saint-Emilion, ont en commun la prédominance du cépage merlot, des vendanges tardives, un élevage et parfois une fermentation sous bois neuf, des rendements limités, des critiques dithyrambiques, un prix de vente très élevé, une clientèle fanatique, et bien sûr la faveur de Robert Parker.
Il est très normal que ces nouveaux vignobles se soient développés dans le Libournais, en premier lieu à Pomerol, pays de petite propriété soigneuse et de prix élevé, où aucun classement des Châteaux n'encadre le prix des vins, et à Saint-Emilion où ce classement existe bien, mais reste relativement incompréhensible.
Pour se tailler ainsi une place si présente, ces vins se devaient d'être très bons, mais d'une manière évidente, d'offrir "plus de tout" au dégustateur, bref de gagner par K.O. !

On prédit parfois une désaffection rapide pour ce qui ne serait qu'une mode dictée par le susdit Bobby. On s'inquiète souvent du type très accusé de tous ces nouveaux vins, bêtes à concours qui ne laissent aucune chance aux valeurs confirmées.
Tout cela n'est pas faux, mais plutôt mal ciblé: on ne boit pas de la Turque tous les jours, et les gens qui achètent une Rolls ont aussi une autre voiture.
Le désir de faire le meilleur vin possible, qui est finalement le désir de retrouver l'illusoire grand vin de nos grand-pères, rencontre une vieille demande qui rend ces entreprises tout-à-fait viables à long terme, comme le sont les petites exploitations de Bourgogne ou d'ailleurs.
Dans ce petit peloton des vins dont la demande est très supérieure à l'offre, d'autres rejoindront sans doute Petrus et ses émules dans une émulation de sélection qui n'est porteuse que de bons vins à venir.

La production du Château de Valandraud est bien sûr très réduite:
le vin de 1990 a été vendu en vrac;
1991 très diminué par le gel a fourni 1000 bouteilles;
c'est en 1992 que débute vraiment la production de grand vin, avec 4500 bouteilles d'un vin très dense, extrêmement long en bouche, et d'un grand potentiel de garde.
1993 devrait être un grand vin. Ce grand vin a bien sûr un prix, qui est légèrement supérieur à celui d'un premier cru de Bordeaux, au niveau d'un Grand cru phare de Bourgogne ou d'une grande cuvée de Côte-Rôtie de Guigal; il s'adresse d'ailleurs à la même clientèle, la plus passionnée; les 3500 bouteilles de Valandraud seront vendues par quelques négociants de Bordeaux, mais n'appelez pas, tout est sûrement déjà réservé !

C'est le propre de ces nouveaux vins que d'être quasi-introuvables . Le prix auquel Valandraud a été proposé en primeur est de 240 à 280 Frs hors taxes, ce qui en fait l'un des trois vins les plus chers de la campagne, après Le Pin et Petrus.
Le Château de Valandraud, enfin, jouit des conseils de l'oenologue Pierre Pauquet ( Cheval-Blanc), de Michel Rolland ( oenologue célèbre), et d'Alain Vauthier, copropriétaire d'Ausone; ce qui semble prouver que cette expérience est suivie avec beaucoup d'intérêt à Saint-Emilion.

L'Avocat du vin, et le procureur du vin

Publié pour la première fois en décembre 1994:
L'Avocat du vin, et le procureur du vin (...).

Sans doute avez-vous déjà acheté le Guide des Vins de France de Robert Parker, peut-être vous l'a-t-on offert en triple pour Noël. Il s'agit une nouvelle fois d'un ouvrage de référence, qui regorge de découvertes et explore les régions peu connues: à noter, une étude bien complète des vins d'Alsace.
Mais le grand évènement de la littérature oenophile est pour moi la parution du pavé (dans la mare) de Guy Renvoisé, Le Monde du vin: art ou bluff. Renvoisé, éminent dénicheur de bons vins pour les grands restaurants, s'épargne d'ailleurs le point d'interrogation qui devrait ponctuer le titre, tant la réponse est pour lui évidente: bluff à 90%.

De prime abord, cet ouvrage touffu et un peu confus peut paraître comme le bougonnement d'un vieil amateur nostalgique, mais on se rend vite compte qu'il repose sur une érudition extraordinaire, une connaissance des sols et de la vinification dont peu de critiques approchent.
Renvoisé est très dur envers à peu près tout ce qui tient au vin d'aujourd'hui. De la stérilisation des sols bourrés de produits douteux ou recouverts de terres allogènes aux rendements faramineux de clones standardisés, des extensions illimitées des crus bordelais à la malignité des Bourguignons, de la bureaucratie inepte à la fiscalité spoliatrice, tout y passe, et il est heureux qu'il y ait une conclusion réconfortante pour nous dissuader de passer à la Badoit !

Renvoisé compte sur les doigts des deux mains les viticulteurs de chaque région, car il place la barre très haut. On ne peut citer tous les passages croustillants de ce livre, mais je ne résiste pas au plaisir de reproduire ses conseils pour bien acheter aux enchères: " Au moment où démarrent les enchères, placez-vous de préférence sur le côté, le dos au mur (...). Quand vous avez décidé de rentrer dans les enchères, faites votre annonce d'une voix nette et intelligible ou bien levez très franchement la main. Dès que la somme dépasse celle que vous vous êtes fixée, faites, avec votre avant-bras, des signes de dénégation très fermes (...)" On ne s'ennuie pas dans les salles de vente avec M. Renvoisé ! Je signale à ce propos que les frais sont fixes ( 10,854%) et non plus proportionnels comme indiqués page 138, et que l'on peut acheter sur ordre sans se faire "allumer" à tous coups.

Un livre comme celui de Parker donne des conseils, des notes, bref il guide et sécurise le lecteur. Seuls les américains ont cette faculté d'allier la Bible au reader's Digest. Le classement par points simplifie bien des choses: je rappelle que l'influence de la notation de Parker est de plus en plus grande sur le cours des vins français, et je connais bien des vignerons qui tremblent e attendant leur publication.
Le Renvoisé pose plus de questions qu'il n'y répond, dans une tradition bien française ! Il brocarde par ailleurs le système de dégustation des vins jeunes, la base des notes de Parker, affirmant non sans raison que les vins présentés dans ces occasions éphémères sont les plus susceptibles d'être appréciés, et ne reflètent pas toujours la qualité de l'ensemble; il lui oppose une technique simple: à la fin d'une dégustation, les bouteilles les plus vides sont toujours les meilleurs !

En résumé, c'est un ouvrage indispensable à tout amateur curieux. Je ne saurais terminer sans revenir au Grand Robert: il attaque curieusement les dégustations-marathon de dizaines de vins; ses notes sont pourtant fondées sur ce type de dégustations, qui déconcertent les vignerons eux-mêmes.

A lire: Le goûteur et le voluptueux

Publié pour la première fois en septembre 1997
A LIRE : LE GOUTEUR ET LE VOLUPTUEUX

C'est un recueil de notes, pensées et actions de l'oenologue Jacques Puisais, mises en scènes par l'écrivain Nicolas de Rabaudy. L'éventail parcouru est vaste, mais toujours traversé par un humanisme et une bonté qui rassasient l'âme et le palais. Pas de doute: la philosophie du vin et de la nourriture du professeur Puisais est bien latine (cf Enchères et en Vins N°16), à la recherche du plaisir et de l'équilibre plus que de la performance héroïque.

Au mot "héroïque", je sens que vous devinez de qui l'on va, encore parler ! Hé oui, c'est Bobby ! Ici le système Parker est bien expliqué; Jacques Puisais et Nicolas de Rabaudy, comme bien d'autres, s'inquiètent de la dérive vers des vins rouges d'extraction trop poussée et de boisé vulgaire, ou des liquoreux candidats dans "la course infernale aux degrés potentiels": les problèmes que nous pose Robert Parker ne sont pas dans la formulation de ses notes ou ses goûts personnels ( qu'il rappelle sans cesse n'être que personnels), mais dans l'interprétation qu'en font les esprits et les palais paresseux: la perversion réside dans l'introduction du chiffre dans le domaine artistique, si l'on veut bien considérer les grands vins comme des oeuvres d'art nées de la terre; je me souviens avoir lu ( mais où ?) que la réussite d'un sport tient à sa capacité à générer du chiffre ( classements, statistiques, probabilités) qui fixent l'attention du spectateur sur canapé.
Il en va de même pour les vins. Qu'est-ce qu'un 95/100 ( car c'est en définitive ce qu'on retient du classement) ? C'est un meilleur vin qu'un 90, et tout est dit. Un peu simple ! Du temps révolu où on accordait aux vins de la cuisse ou du corps, on était quand même plus explicite que ce jugement qui sonne comme l'énoncé du tour de poitrine d'un mannequin.
Puisais, lui, nous explique doucement, mais d'une manière implacable, qu'un vin n'est qu'un élément de la vie, qu'on ne saurait trop isoler, sauf pour des besoins d'analyse délimités, d'où le plaisir n'est quand même pas absent.

Comme Renvoisé, mais un Renvoisé souriant, il pose plus de questions qu'il n'assène de réponses.
Parmi ces questions, celle fondamentale, et naturelle aux vrais ruraux, de l'origine des produits: une tomate, ce n'est pas une tomate parmi tant d'autres, mais une tomate d'ici, ou de là, de telle nature...
Puisais préconise l'unité de lieu, l'accord inné des mets et des plats voisins, le bonheur dans la simplicité apparente. Prophète du plaisir, il n'hésite pas à se lancer dans l'antre du dragon de la Foire de Paris, " ce capharnaüm à cauchemars tout droit sorti de la défonce du consommateur" pour sauver par une conférence savante et gourmande quelques "frères de race, distraits du divertissement pascalien par les hochets du trompe-l'oeil en série !"
Car l'homme de science est aussi un pédagogue qui fait goûter les légumes aux enfants pour leur redonner le goût des racines. Encore plus passionnant, le Puisais intime dévoilé chez lui, qui couve sa cave de six cent crus, prête l'oreille à ses radis et fait parler les haricots ! Chaque aliment doit dévoiler son pedigree pour avoir droit de cité chez lui. Et il s'insurge avec bon sens contre les trafics alimentaires en tous sens (1).

Bref, voilà un livre qui ne laissera personne indifférent, car chacun s'y retrouvera et voudra s'élever avec lui. Moi, par exemple, qui lis en ce moment le chapitre consacré au pain ( le bon pain "unifie les quatre saveurs de base, le sucré, le salé, l'amer et l'acide"), tandis que Bleuzen est en Centre-Bretagne pour apprendre à faire du vrai pain en compagnie d'un ami sculpteur à la recherche d'un matériau noble; quelle heureuse coïncidence !

Jacques Puisais. Nicolas de Rabaudy: Le goûteur et le Voluptueux. Gérard Klopp Editeur, 212 pages, 1996

(1). "Que se produirait-il donc si, au lieu de végétaux, le boeuf se mettait à manger de la viande ? (...) Il se remplirait, notamment, d'acide urique et d'urate. Or l'urate a quant à lui des habitudes particulières. Les habitudes particulières de l'urate sont d'avoir un faible pour le système nerveux et le cerveau. Si la vache mangeait directement de la viande, il en résulterait une sécrétion d'urate en énorme quantité, l'urate irait au cerveau et la vache deviendrait folle ".
Rudolf Steiner, inspirateur de la biodynamie (qui conclut cet ouvrage), écrivait ceci en... 1923 ! Je ne sais si la démonstration est probante, mais la conclusion est d'actualité !

Lettre ouverte à Madame C. de Meursault

Publié pour la première fois en mars 1999:
LETTRE OUVERTE A MADAME C. DE MEURSAULT,
MAIS AUSSI AUX FRERES F. DE CHACE , ET PLUS GENERALEMENT A TOUS LES VITICULTEURS QUI S'ETONNENT ET S'INQUIETENT DE VOIR LE FRUIT DE LEUR TRAVAIL ATTEINDRE SUR LE MARCHE DES VINS DES PRIX SANS COMMUNE MESURE AVEC LE PROFIT QU'ILS TIRENT DE LEUR TRAVAIL.

Madame, vous m'avez téléphoné pour me faire part de votre amertume suite à ma vente publique de Bernay, en Novembre 1998, où nous avons adjugé à des prix très élevés des Meursault et des Corton-Charlemagne de votre domaine. Un mois avant, à Nantes, j'en avais vendu quarante bouteilles. En soi, cela n'est pas grand-chose, mais la demande est tellement importante pour vos vins que cela avait pris des allures d'évènement. A Bernay, il y en avait cent bouteilles, et s'y pressaient nombre d'amateurs et la plupart des grands négociants. Nous avons vendu cher - très cher.

Une chose tout d'abord: cet engouement pour vos vins est entièrement de votre faute. Je me souviens d'un article de la Revue du Vin de France, en 1984, consacré à votre mari. On y célébrait sa modestie, la sagesse de ses prix, et bien sûr l'extrême qualité de ses vins. Je ne dirai pas le contraire, après avoir bu un Charmes 1978 éblouissant qui faisait oublier, dans une longue après-midi, tout ce qui le précédait et tout ce qui le suivait. Quand on fait du vin aussi bon, on ravit les hommes, mais on tente le diable. Alors, comme, partout en France vos confrères et consoeurs qui sont l'honneur de la viticulture, vous avez du faire face à une demande croissante, et démesurée par rapport à vos possibilités. Vous auriez pu accroître largement les rendements, ou louer votre nom. Vous auriez ainsi contenté une large clientèle, qui n'est pas que de connaisseurs. Vous avez choisi de ne signer que ce dont vous êtes fiers. Vous auriez pu doubler ou décupler votre tarif, pour accorder selon la loi du marché votre maigre offre à la demande grandissante. Vous avez choisi de ne vendre qu'à qui vous voulez.
Mais voici que le marché des vins, spéculatif, international, parkerisé, et de plus en plus rapide, vous rattrape. Pas d'échappatoire: peu de vos clients ignorent la valeur de revente de vos bouteilles. Vous m'avez appelé pour vous étonner qu'une telle quantité de vos vins soient présentés en vente publique. Vous m'avez demandé de vous renseigner sur le nom des vendeurs.

Outre le secret professionnel auquel les commissaires-priseurs et moi sommes tenus, il va de soi que je ne donne pas mes sources ( du reste, les raisons de vendre des bons vins sont souvent moins intéressées que celles qui vous viennent à l'esprit: décès, déménagement, revers de fortune sont aussi le lot des amateurs de grands vins). En vous répondant, je n'ai fait que préciser mon devoir d'expert: assurer la régularité des transactions et l'authenticité des vins vendus, et fixer, non la valeur, mais l'estimation du prix probable de vente. En se reportant aux résultats de cette vente, on constatera que les espérances des vendeurs ont été largement dépassés.

Mais en vous répondant, j'avais bien conscience de ceci: ma réponse n'était pas appropriée à vos questions; une fois de plus, l'offre ne satisfait pas la demande ! En fait- et cela vaut pour tous les viticulteurs dont la production s'arrache et se revend - vous êtes désemparée par ce phénomène. Après tout, vous êtes des paysans, qui cultivez la terre et en tirez les fruits. Certains le font mieux que les autres. Vous n'êtes pas des commerçants.

Je suis d'origine rurale, et nous cultivons la forêt depuis des siècles. Je récolte des arbres qu'avait planté mon arrière-grand-père, et j'en plante d'autres pour les petits-enfants de mes enfants. Nous savons ce qu'est un travail à long terme. Comme vous, quand nous plantons,nous ne cherchons pas à évaluer - tâche bien impossible- la valeur de la production trente ou cinquante ans plus tard. Nous le faisons pour transmettre en bon état ce que nous avons reçu. Nous ne sommes pas des financiers... et sans doute pas de bons hommes d'argent. mais nous aimons notre travail parce qu'il est digne et profitable à tous. Et la vigne est sûrement ce que l'homme a inventé de plus noble et de plus complexe comme travail de la terre. Ce produit complexe a généré un marché complexe. Les grands vins ont toujours été chers; les grands négociants ont souvent été plus riches que les viticulteurs, et ils sont pourtant nécessaires.

Dans votre métier où "l'on vit pauvre mais on meurt riche", vous n'avez pas que des déconvenues. Certes, cela n'est pas agréable de voir des intermédiaires faire un gros profit sur des oeuvres dont tout le travail vous revient. Van Gogh vécut pauvre, et il est mort pauvre. Le dixième de la vente actuelle d'une de ses oeuvres l'aurait sauvé de la misère. Votre sort est moins triste.

Mais je sais, Madame, que ce n'est pas l'argent qui vous a incité à me téléphoner. C'est la dignité - et c'est bien plus important. Il fut un temps où la propriété ne pesait pas cher face au négoce. Vous eussiez été plus malheureux qu'aujourd'hui. Ce temps semble révolu. Le négoce de Bourgogne est toujours puissant, il se partage entre de grands vins et de petits vins, mais vous n'avez plus besoin de lui. Car la planète est au courant de la valeur de vos vins; et la planète achète.

Elle achète, la planète. Je veux dire par là , quelques dizaines de milliers de milliardaires qui ne boivent que le meilleur- ils ont pris la place des tsars de Russie, des rois du caoutchouc ou du nickel. Et des millions de par le monde qui adorent les grands vins de France et les cherchent en vain. Là est le problème: si un premier cru du Médoc peut offrir trois cent mille bouteilles bon an mal an, le petit domaine C. est très loin de suffire à la demande. Alors il doit choisir, sélectionner. Alors, surtout, il doit refuser.

Et ici j'interviens. Vous m'avez, Madame, interrogé sur l'origine des vins que nous vendions à Bernay. Je n'ai pas, légalement, le droit de vous répondre. D'ailleurs, quelle importance ? Je me rappelle vos mots: " Si ça continue, on finira par ne plus vendre aux particuliers, si c'est pour qu'ils les passent en vente aux enchères. On ne vendra plus qu'aux professionnels". Allons-y. J'ai réfléchi à cette lettre plusieurs mois avant de vous l'envoyer. Vous ne me croirez peut-être pas, mais mon principal souci était de ne pas vous causer de peine.

continue: ça continue. Le 17 Avril à Bernay,nous vendrons 200 bouteilles de Meursault et Corton-Charlemagne du domaine C.., dont vous ne saurez pas l'origine. Nous les vendrons, je l'espère, cher. particulier: c'est la bonne clientèle, celle des médecins et des amoureux. Je ne connais aucune profession où les gens soient aussi passionnés, accueillants et disponibles que les viticulteurs. C'était votre force, Madame, votre indépendance. C'est peut-être votre fidélité, et finalement votre servitude: vos vieux clients fidèles amoureux. Beaucoup, et je m'en félicite, n'achètent vos vins que pour les faire vieillir dans leur cave. Je dois à un de vos clients du Calvados d'avoir souvent goûté vos Meursault; il m'a averti qu'il n'en vendrait jamais. Bravo ! Certains en revendent. Leurs besoins sont multiples, mais ils vendent souvent plus par nécessité que cupidité. Allez-vous les guetter, les questionner ? Qui revendra ? Ces jeunes amoureux fauchés, ce car de notaires en goguette spéculative, ce gros banquier sincère ? Et sachez qu'ils vendent souvent le coeur gros.
professionnels: " on ne vendra plus qu'aux professionnels". La tâche du commerçant est d'acheter pour revendre plus cher. Cela est justifié par l'argent qu'il immobilise et par le risque qu'il encourt. Et cela est un métier . L'argent que gagne le professionnel, vous le comprenez. C'est son travail, qui travaille mérite salaire. Vous vendez aussi du vin à de grands restaurants, car eux les servent dans les meilleures conditions, pour la plus grande gloire de la cuisine française; Mais , vous l'ignorez peut-être, certains d'entre eux, sitôt reçu vos vins, les revendent aussitôt, gardant juste de quoi faire bonne image sur la carte des vins.

Maintenant, Madame, permettez-moi d'abandonner le rôle de pamphlétaire pour celui de conseiller. Si vous avez bien lu ce qui précède, vous penserez, je l'espère, que je suis de votre bord. Certes, je suis expert en vins, et à ce titre je suis chargé de la vente de vins qui ont été déjà vendus. Certes, je donne des cotations, et je permets aux vendeurs des plus-value sur les vins qu'ils vous ont achetés. Mais je respecte ceux qui produisent ( depuis des années, je mets en valeur dans mes catalogues les vins du Layon et de Savennières, des vins que j'aime, et dont les acheteurs ne sont pas friands). En effet, mon marché est un tout petit marché. Des négociants, et des amateurs qui essayent d'acquérir quelques bouteilles que vous ne pouvez pas leur vendre, faute de disponibilités. C'est à votre honneur de respecter les accords anciens avec des particuliers. C'est à votre honneur de servir en premier la grande restauration. Mais l'argent, dont nous connaisssons vous comme moi la valeur et l'usage, n'est pas destiné qu'aux intermédiaires entre le propriétaire et le consommateur.

Alors il m'est venu quelques idées. Et, j'y pense tard tant cela est vieux pour moi, peut-être avez-vous l'impression qu'une vente aux enchères est dégradante; et signifie pour les vins présentés honte et relents de faillite. C'est faux. Le marché de l'art, c'est aux enchères qu'il se passe. Si les vins des Hospices de Beaune se vendent si chers, c'est parce qu'ils se vendent aux enchères. Même, certains vins rares d'Allemagne sont exclusivement vendus aux enchères. Le marché des ventes aux enchères est, de loin, le principal, pour les vins rares et de collection. Il est simple et franc: le dernier enchérisseur est l'acheteur. Et quand nous présentons quelques-une de vos précieuses bouteilles comme "le meilleur de l'appellation", c'est une publicité que vous envieraient bien de vos voisins.

Madame, je suis bien conscient des questions que vous posent la multiplication des ventes publiques de vos vins. Je n'en suis que le médiateur, une fois de plus. Il me reste à vous persuader que vos intérêts peuvent rejoindre les miens. Car je n'ai pas pour rien réfléchi plusieurs mois sur cette vente de vins du domaine C. . Vous avez choisi la vente à la propriété, et elle vous oblige à faire des choix. Mais les autres ? Ceux qui cherchent désespérément, pour le réveillon de l'an 2000, une bouteille de chez C. ? Ou d'un autre de vos confrères vignerons comme vous incapable de fournir à la demande ?

Alors, voilà : je voudrais organiser chaque année une belle vente publique de vins récents. On y trouverait quelques caisses de chacun de ces domaines confidentiels. Ce serait une vitrine des meilleurs producteurs français. Ils y vendraient bien leur vin, et chaque amateur aurait la possiblité, au moins théorique, d'acheter quelques flacons. Bien sûr, la loi du marché jouera. Mais, pour une fois au moins, l'offre aura été publique, les bouteilles visibles, l'achat possible. Et le vigneron touchera tout le fruit de son travail.

Expert en ventes publiques, j'ai voulu cettre lettre publique. Pour faire connaître notre travail et la manière dont nous le pratiquons. Pour dédramatiser ce qui n'est que le résultat de la qualité, et l'application des lois de l'offre et de la demande. Et pour cette proposition à laquelle je crois fermement. Je vous prie de bien vouloir partager avec votre mari, Madame, l'assurance de mes sentiments les plus dévoués.

Le vin à table, on en parle

Publié pour la première fois en 1999: Le vin à table, on en parle

Ne dites pas: "ce vin est complètement piqué, on dirait le vinaigre que faisait mon père dans un vieux tonneau."
Dites plutôt: " La présence d'acide acétique est prononcée. Ca me rappelle qu'il a beaucoup plu cet automne-là. Figurez-vous que nous devions partir en Espagne et que..." ( enchaîner sur n'importe quoi d'autre).

Ne dites pas: " ce vin est mort, il a dépassé son âge". Ce n'est pas respectable.
Dites plutôt: "voilà une bouteille vénérable. Elle est chargée du poids des ans. Le vin est évolué, avec des nuances brunes. Le nez est assez sec. En bouche, il est fluide, pas très long. L'arrière-bouche est plutôt courte. Bref, il est temps de le boire".

Ne dites pas: "ce chinon rouge est complètement vert".
Respectez les goûts et les couleurs. Dites plutôt: "on sent dans ce cabernet l'astringence des cabernet à juste maturité. Il est clair que les conditions météorologiques n'ont pas permis de récolter des raisins très sucrés. Mais ce goût de poivron est très typique de la région".

Ne dites pas: "Cà, du Sauternes ? Pour moi, c'est du jus de raisin avec une louche de sucre de betterave !". Vous pourriez froisser votre hôte.
Dites plutôt: " On distingue bien dans ce vin la fluidité du sauvignon non surmûri, et la puissance de la liqueur possiblement allogène qui le contrebalance".

Ne dites pas: " Votre rosé de Provence glacé est très bien: il va avec tout... c'est-à-dire avec rien !"
Ce n'est pas délicat lors d'un déjeûner champêtre. dites plutôt: " Voilà un bon vin de soif: il n'accroche pas le palais, il laisse s'exprimer la salade niçoise... d'autant plus qu'il est vraiment bien frais."

Ne dites pas: " est-ce que c'est normal que les bulles du champagne soient grosses comme des bulles de savon ?" Ca gâcherait le réveillon.
Dites plutôt: "Ce champagne est vineux, il a du corps, c'est une belle expression du pinot noir, et ses bulles sont de taille régulière".

Ne dites pas: "Pourrais-je avoir un peu de cannelle pour mettre dans mon vin chaud ?" Ca pourrait refroidir l'atmosphère.
Dites plutôt: " Je n'aime pas le vin trop froid, les arômes ne se développent pas. Ici, on sent bien le bois, le cuir et la vanille. Et l'alcool est présent, on n'est pas volé !"

Ne dites pas: " C'est la première fois que je goûte du Chambertin. Dommage que ce soit sur des artichauts".
Dites plutôt: " je prendrai un peu d'eau, s'il-vous-plaît. Je vais laisser le vin s'épanouir quelques minutes dans son verre".

Ne dites pas: "Avec votre chardonnay désacidifié et votre Saint-Emilion décharné, on pourrait faire une sacrée vinaigrette pour la salade !"
Dites plutôt: "Ah, le monde du vin. Quelle terre de contraste ! Voilà un blanc tout en rondeur, d'une consistance presque huileuse, qui vous emplit la bouche... et voici un rouge nerveux et élancé, qui vous la dégraisse !"

Ne dites pas: " Quelle horreur, il est complètement bouchonné !".
Dites plutôt: " je me demande s'il ne gagnerait pas à une longue aération. On pourrait essayer autre chose en attendant " ( et d'ici là vous serez parti).

Ne dites pas: " Merci pour le fond de la bouteille, j'ai hérité de tout le dépôt".
Dites plutôt: " Les vignerons modernes ont une fâcheuse tendance à surfiltrer leur vin, ce qui les dépouille de leur matière. On voit bien que celui-ci est fait à l'ancienne, avec de la vraie lie..."

Ne dites pas: "Belle robe encore assez sombre, mais avec des notes d'évolution. Parfumé, typé de cabernet-sauvignon, avec des touches de cannelle et de girofle, et une pointe originale de goudron. Très élégant en bouche, soyeux, bonne longueur. Finit agréablement. Pas un poid lourd, mais un vin de classe, de très bon terroir. Je le vois en Médoc, sans doute à Margaux. A mon avis, Rausan-Ségla 1985 !"
Ne dites pas ça, voyons ! Tout le monde sait que vous êtes passé par la cuisine en rentrant.

Ne dites pas: "tiens, une tisane de chêne. Il y a du vin, après ?" Songez au travail et au coût des barriques neuves.
Dites plutôt: Voilà un vin bien boisé. La barrique neuve l'a doté de tannins puissants. Il a des arômes caractéristiques de chêne, de vanille et de clou de girofle. Elevage de grand luxe, assurément".

Ne dites pas: " tiens, le beaujolais est à la banane, cette année. On dirait les petits pots de mon dernier".
Dites plutôt: " C'est incroyable ce qu'on peut faire faire aux levures ! Ce vin est déjà extrêmement aromatique un mois après la vendange !"

Pour Robert Parker

Publié pour la première fois en 2000: Pour Robert Parker

Cette fois-ci, ça explose. Il y a près de dix ans que des propriétaires bordelais- et non des moindres- me parlaient de Robert Parker comme "l'homme à abattre" ( considérant sans doute que l'on doit combattre l'adversaire avec les armes usuelles de son pays).
Il y a longtemps que, dans le métier que j'exerce et qui consiste à prévoir le prix de vente probable d'un vin, je considère les notes de M. Robert Parker comme des mercuriales anticipées, puisqu'elles ont une influence directe sur les prix de vente.
Il y a quelques années que j'ai renoncé à chercher à convaincre mes plus fortunés acheteurs que les grands vins devaient être gardés quelques années en cave avant de mériter les notes qui leur sont attribuées.
Et aussi que, par souci de déontologie, j'ai renonçé à vendre des Bordeaux en Primeurs en usant des possibilités multiples de connaître les notes de Robert Parker avant leur publication.
La chasse est lancée. Non sans arguments valables: mais ces arguments sont des aveux de faiblesse: les commentaires, revendiqués comme tels, d'un seul homme, fût-il ancien avocat, ont réussi à influencer le faire du vin, son appréhension, et même sa place sur la table.
Quand monsieur Charmolüe, dont le Montrose 1990 a connu un destin imprévu par suite d'une note très laudative, s'insurge contre le traitement que Robert Parker réserve à son 1999, on comprend l'amertume d'un viticulteur qui a fait du mieux qu'il a pu avec ce que la nature lui a donné.
Mais le consumérisme que nous apporte l'Amérique n'a que faire du climat: seul compte le résultat.
Monsieur Parker est un grand amateur de vin. Vous préfèreriez être notés par un fonds de pension qui vous donnerait des critères de rendement optimal ?.
Quand monsieur Jean-François Moueix juge utile de défendre Robert parker dans une lettre ouverte, c'est l'homme honorable qu'il défend, et non les cotations. Les cotations sont ce qu'elles sont: l'expression de l'appréciation d'un dégustateur, un bon, parmi d'autres. Mettre en doute l'honnêteté de ces cotations est peu correct.

M. Parker goûte beaucoup et note selon son goût, comme moi, toi, et beaucoup d'autres. Certes, il a - mais il le revendique- un goût particulier, qui lui fait préférer les vins puissants et fruités et l'enclint à attribuer des notes très, très élevées à des vins californiens qui nous semblent trop faciles.
Certes, il se préoccupe peu, en bon anglo-saxon, de la disposition des vins à être bus à une bonne table, ce qui est un travers bien latin.
Mais enfin ! Que cet homme goûte les vins et les note, c'est bien son droit !
Que ses ouvrages, qui sont les mieux composés ( et distribués) soient achetés, c'est une preuve de l'intérêt de ses lecteurs. Seul un américain pouvait écrire ces écrits qui sont à la fois la Bible et le Reader's Digest.

Le procès de l'avocat Parker ne fait que commencer:
y défileront des témoins à charge: "- depuis vingt ans, jamais plus de 80"
des témoins à décharges: "-jamais moins de 88, un honnête homme, monsieur le Président"...
Et peut-être qu'en fin d'audience un avocat des parties civiles posera la seule question qui vaille: " - Mais, vous qui critiquez, et dites à juste titre qu'on ne peut juger sereinement un vin qui n'est même pas fini (...), qu'est-ce qui vous oblige à vous plier à ces dégustations de nouveaux-nés ? L'argent ? Vous en avez. L'envie de faire plaisir à la Place ? Elle achète et revend aussitôt vos produits. Le plaisir d'être dans le coup ? Il n'est pas loin du couperet.
Et il poursuivra: Ce monsieur Parker, vous lui reprochez d'avoir médiocrement noté vos vins ? Des vins que vous lui avez vous-même donné à goûter, par libre choix ! Et en plus vous vous plaignez !"

Argument imparable s'il en est. On ne crache pas dans la bouillie bordelaise. Pour en revenir à monsieur Robert Parker, son influence est la conséquence des privilèges que lui accordent les châteaux de Bordeaux.

La notation de qualité des vins

POURQUOI LA NOTATION VINORUMCODEX ?
Par Gilles du Pontavice, expert en vins.

La notation VinorumCodex est un système qui combine une note par lettres de A à E et un nombre de lettres variant de 1 à 5. Par le panachage des lettres, ce système permet 86 combinaisons différentes. Chaque réponse sur VinorumCodex.com, donne la combinaison de lettres et son commentaire. J'ai imaginé ce système en 1993 quand j'ai commencé à éditer une petite lettre d'information appelée Enchères et en Vins, qui a finalement donné naissance à la base de données VinorumCodex.
La raison était que je n'étais pas satisfait des deux systèmes de cotation existant. Le premier est un système par étoiles, utilisé notamment par le Master of Wine anglais Michael Broadbent, qui permet une vingtaine de cotations différentes. Le second est une cotation en points sur une échelle de 100 points, utilisé notamment par le magazine américain Wine Spectator et par le critique américain Robert Parker dans son magazine The Wine Advocat, qui permet une trentaine de cotations différentes.
L'objet de cet article est de faire une analyse de chacun de ces systèmes. Il a été écrit avant la sortie du film Mondovino. Les exemples pratiques sont tirés de deux ouvrages emblématiques :
Le livre des millésimes, Les grands vins de France, de Michael Broadbent, Editions Scala, 1993.
Le Guide Parker des vins de France, de Robert Parker, Solar, 2001.
Pour m'en tenir à des ouvrages que le lecteur français peut trouver, j'ai utilisé ces deux ouvrages dans leur traduction française. Même si les auteurs restent responsables des traductions, l'utilisation des versions françaises doit nous rendre indulgents envers l'indigence possible du texte. Ces deux ouvrages ne parlent que des vins français, ce qui est bien sûr réducteur. Pour gagner en concision, j'utiliserai parfois dans cet article les abréviations MB et RP pour désigner ces deux grands écrivains du vin.

Michael Broadbent est aujourd'hui un vieux monsieur. Anglais, parfait gentleman, il a acquis sa notoriété en dirigeant le département Vins de la maison de ventes Christie's à Londres et un peu partout dans le monde. Il est aussi francophile : " J'admire les Français, leur goût, leur indépendance intellectuelle, leur gastronomie et par-dessus tout, leurs vins ".
Robert Parker est avocat. Passionné de vin, il a lancé une lettre d'information qui a connu un grand succès et donné lieu à de nombreux ouvrages. Il est aussi francophile. Il va de soi que, personnellement, je me sens plus proche de Monsieur Broadbent que j'admire, que de Monsieur Parker que je respecte. Le métier d'expert consiste à pouvoir donner une estimation de prix pour n'importe quel vin en bouteille, et si possible une estimation de la qualité. Le métier de critique exercé par RP s'inscrit dans une logique consumériste et donne des conseils d'achats et de consommation des vins. L'expert est historien, le critique suit d'abord une actualité.
Je suis expert en vins depuis 1990. Voici maintenant une analyse de ces deux ouvrages.

INTRODUCTION

L'introduction de Broadbent est courte : quelques phrases sur son amour du vin, la notion de millésime mise au centre du propos, le système de notation, la dégustation. L'introduction de Parker est un peu plus longue. Elle donne le plan de l'ouvrage, décrit le système de notation, explique la déontologie du critique : indépendance, avec une référence à l'éternel candidat à la présidence des USA Ralph Nader, courage, expérience, responsabilité, franchise.

COTATION DES VINS

C'est indéniable, une note de qualité d'un vin, quelle qu'elle soit, est réductrice : d'une part, elle est établie à un instant de la vie de ce vin, qui est né, vit et mourra ; d'autre part elle est personnelle, ou tout au plus issue d'un groupe de dégustateurs, et non scientifique. Tant mieux ! C'est ce qui permet de classer les grands vins au rang des oeuvres d'art, et non au sein de la production agricole de qualité, ce qu'ils sont à leur fabrication. Cette dimension spirituelle du vin n'échappe pas à nos deux auteurs :
" Les vins sont comme les êtres humains, variables à l'infini, fascinants à l'extrême ". MB
" (...) les grands vins, comme la grande musique ou la peinture de haut vol, font l'unanimité, même s'il est pratiquement impossible d'en donner une définition précise ". RP

Comme tous les amateurs, nos deux critiques ont une haute idée du vin. Pour Robert Parker, c'est un produit de l'activité humaine parmi les plus nobles. Pour Michael Broadbent, c'est quasiment un être vivant. Ce produit, reste à en donner connaissance. Le discours sur le vin a considérablement évolué au XX° siècle. Très timide au XIX° siècle, il donnait seulement quelques indications générales. Il est aujourd'hui pléthorique, et nous en donnerons quelques exemples. Mais aucun media donnant une critique des vins ne saurait aujourd'hui se passer d'une synthèse, d'une qualité résumée en quelques caractères typographiques. On peut le regretter, mais c'est ainsi.

Voici donc les raisons pour lesquelles MB et RP ont choisi le leur. MB utilise dans ses dégustations une grille chiffrée : " (...) sur 20 : 3 points pour l'aspect, 7 pour le nez, 10 pour la bouche et l'impression d'ensemble ". Il complète cette note sèche par des impressions écrites dans de petits carnets. Il pense que l'erreur est humaine et " les variations infinies ". Il a donc gardé pour lui ses chiffres et donne comme notes des étoiles, de 0 à 5, de mauvais à exceptionnel. L'espérance de vie d'un vin est indiquée par la mise entre parenthèses d'étoiles, ainsi : ***(**) est traduit par : " pas encore complètement épanoui, mais déjà agréable à boire. Sera sans doute exceptionnel à terme ". Sitôt annoncée cette notation simplifiée, MB semble regretter sa sécheresse, et rajoute souvent un commentaire.

RP utilise dans ses dégustations une note chiffrée élaborée d'une façon plus complexe. Chaque vin existant se voit attribuer 50 points, plus : - une note sur 5 points pour la couleur et l'apparence ( " puisque, aujourd'hui, la plupart des vins sont bien vinifiés (...), la plupart obtiennent 4 ou même 5 points). - une note sur 15 points pour le bouquet. - une note sur 20 points pour les sensations et la finale en bouche. -une note sur 10 points pour l'impression d'ensemble et l'aptitude au bon vieillissement. Le classement des vins est fait selon une grille de 50 à 100 points. Plus de 95 points, le vin est qualifié d'extraordinaire. De 90 à 95 points, ce sont d'excellents vins. De 80 à 89 points, ce sont des très bons vins, surtout de 85 à 89 points. RP ajoute " j'en ai plusieurs dans ma cave personnelle ". De 70 à 79 points, les vins sont de niveau moyen. En-dessous de 70 points sont les vins de qualité insuffisante.

J'ai passé des années à réfléchir sur les systèmes de cotation. Je ne suis sans doute pas le seul, mais une formation de sociologue avec option statistique m'a amené à m'interroger sur le sens de ces systèmes. La première remarque que je me suis faite et qui n'a pas varié est que le chiffre aujourd'hui l'emporte toujours sur la lettre, et encore plus sur l'étoile, à l'exception notable du guide Michelin. Pourquoi ? Nous vivons dans un monde de chiffres. La capacité de réussite d'un sport se mesure à sa capacité à produire du chiffre. Classements intermédiaires, statistiques, chiffres des salaires ont grandement contribué à la réussite du football, alors que le rugby se contentait de poules, de l'anonymat des marqueurs et de la joie de jouer. C'est ainsi. Je pense donc que la notation par chiffres est la plus populaire et la plus demandée, c'est pourquoi j'ai choisi en ce qui me concerne une notation par lettres.
Et le chiffre, qu'en pense Michael Broadbent ? La réponse est cruelle : " Le système de notation sur 100 points qui a été adopté récemment par un certain nombre d'auteurs et de journalistes n'est pas satisfaisant. Il n'est pas honnête, c'est certain, mais de plus, il juge comme s'il était possible de travailler dans des conditions hypothétiquement pures, objectives et toujours identiques ". " Il n'est pas honnête, c'est certain, mais... " est une phrase qui m'a transformé en fan absolu de Monsieur Broadbent, même si j'aime souvent des vins qu'il n'aime pas, ou l'inverse. Robert Parker n'est pas de cet avis. Il prévient de façon assidue le lecteur que les notes ne sont pas tout. Cependant " elles permettent au lecteur de juger de la manière dont un critique professionnel classe le vin parmi ses pairs ".

Dans des ouvrages plus anciens, RP précisait : " Quelle est la différence entre deux vins, tous deux très bons, notés respectivement 86 et 87 ? La réponse est simple : on s'aperçoit, en les dégustant côte à côte, que le vin noté 87 est légèrement meilleur que l'autre ". Il pose ainsi une question importante pour cet article : qu'est-ce qu'un vin meilleur qu'un autre ? est-ce qu'on peut déguster un Muscadet 87 à côté d'un Pauillac 86 et trouver l'un meilleur que l'autre ? La première réponse, découlant de ce qui est plus haut, est que cela dépend du statut que l'on accorde au vin. Est-ce une production agricole dont on peut classer la qualité ? Est-ce une oeuvre d'art qu'on peut coter sur une échelle ? Il est temps de parler dégustation.

DEGUSTATION DES VINS

Le vin n'est pas nécessaire à la vie des hommes, mais ils s'en passent difficilement. Il a une longue histoire. Il est lié au pouvoir, à la religion, à l'argent. Avant le terroir, c'est la politique qui a décidé où l'on produisait du bon vin. Le goût du vin a beaucoup évolué. La dégustation a pris beaucoup d'ampleur depuis cinquante ans. Dans la mimique d'un vigneron goûtant le vin se trouvaient sans doute les dix lignes de commentaire qu'on en tire aujourd'hui, mais cela n'était pas transmissible hors d'un cercle d'initiés. L'Art de faire le vin s'est doublé de L'art de parler du vin. Et pour cela, il faut le déguster.
Expert de l'une des deux grandes maisons de ventes publiques au monde, Michael Broadbent a eu l'occasion de déguster d'innombrables bouteilles. Il précise qu'il n'est pas un stakanoviste de la dégustation, car " ce n'est pas mon occupation principale ". C'est dans le texte qu'on découvre les circonstances des dégustations. Elles souvent drôles, car MB est un auteur plein d'humour. " dégusté au Château... à l'exceptionnelle dégustation de Lafite de X... avant une vente... à un déjeuner... à un dîner... en compagnie de jeunes sommeliers... ". Les rapports avec les propriétaires ou les négociants sont souvent relatés, parfois aussi le plat qui accompagnait le vin. MB précise dans son livre que les commentaires de dégustation " que vous lirez correspondent exactement à ce que j'ai écrit au moment de la dégustation ", alors que les notations par étoiles ont été faites ultérieurement. Même si l'on est le premier expert au monde, goûter le vin coûte cher, en achats de bouteilles, en déplacements, en temps. MB tire une bonne partie de ses commentaires, surtout sur les millésimes anciens, de dégustations géantes organisées par des amateurs fortunés. Dans son credo de l'introduction, il écrit qu'il boit du vin tous les jours, à tous les repas sauf le petit déjeuner : " mes amis le savent ". Michael Broadbent a beaucoup d'amis.

Robert Parker est un critique indépendant. Son honnêteté n'est pas contestée. Avocat du vin, il en est aussi juge :" le rôle du critique est de prononcer des jugements fiables ", écrit-il. RP insiste sur la responsabilité du critique qui doit respecter une stricte déontologie, n'accepter jamais le voyage offert ou l'hospitalité, et acheter la majorité des vins qu'il goûte. Il goûte seul : " J'estime que ( les commentaires de dégustation) émis par le consensus d'une commission sont les plus insipides et les plus trompeurs ". " Les collégialités apprécient rarement les vins de caractère ". Quand RP vient à Bordeaux goûter les vins primeurs, nous, experts ou négociants, ne le voyons pas. On lui porte les échantillons dans son hôtel. Il n'est pas facile de faire goûter ses vins par Robert Parker si l'on est un petit producteur.

IL n'y a pour l'instant pas de suite, car la suite serait un roman, et, comme l'a dit Scott Fitzelald, "on peut écrire une nouyelle en sifflant une bouteille, mais pour un roman...