mardi, février 14, 2006

Château de Valandraud

Publié pour la première fois en avril 1994
Château de Valandraud

Le très rare et très cher Château de Valandraud, dernière star du merlot, illustre bien l'émergence de nouveaux vins dans le paysage bordelais, des vins très bons, très rares, très chers !
Le château de Valandraut est le dernier-né des nouveaux Bordeaux de haute couture apparus depuis quelques années dans le Libournais. Le domaine a été constitué par Jean-Luc Thunevin, négociant en vins de Saint-Emilion, sur deux groupes de parcelles totalisant 1,8 hectare, l'un en haut de la Côte Pavie, le second sur un affleurement de graves profondes près du château Monbousquet, entre Saint-Emilion et Libourne.
Le vignoble est conduit de façon très traditionnelle, plus comme un jardin que comme une entreprise. Vendanges vertes autant que nécessaire, palissage des vignes "selon la physionomie de chaque pied", J.L. Thunevin a choisi de faire le meilleur vin possible sans souci du coût.
La production très limitée permet d'ailleurs de ne pas s'en soucier, car le marché du vin est ainsi fait qu'un produit très rare et très bon trouve immédiatement un public.
La vendange se fait manuellement au meilleur moment, en attendant le bâchage des vignes sérieusement envisagé ! Toute la vendange est éraflée à la main, foulée à la main, puis fermente dans des cuves en bois ouvertes à la bourguignonne, à température élevée, avec des pigeages au bâton; on casse le chapeau de marc qui se forme sur le dessus du mout pour le plonger dans la cuve. Les fermentations malolactiques se font dans des barriques de chêne neuves, où le vin séjourne 14 à 18 mois. Il est embouteillé sans filtration, après un collage aux blancs d'oeufs léger.
Ces façons de travailler comportent des risques ( fermentation à température élevée notamment) récompensés par une matière plus dense, une concentration plus importante que dans un autre vin.

Le propos de Valandraud est bie de faire un autre type de vin, comme les Bourgogne Leroy sont d'autres Bourgogne, la Coulée de Serrant un autre Savennières. Le merlot est le cépage dominant à 75%, épaulé par le canernet-franc.
L'effet des rendements de 30 Hl/hectare est encore limité par saignée du moût et par la présence d'un second vin. Ces rendements pratiquement deux fois inférieurs à ceux de grands domaines bien tenus sont la condition impérative d'obtention de ces vins très concentrés et puissants que se développent dans le Libournais: Le Pin et La Fleur de Gay en Pomerol, Le Tertre-Roteboeuf et Valandraud à Saint-Emilion, ont en commun la prédominance du cépage merlot, des vendanges tardives, un élevage et parfois une fermentation sous bois neuf, des rendements limités, des critiques dithyrambiques, un prix de vente très élevé, une clientèle fanatique, et bien sûr la faveur de Robert Parker.
Il est très normal que ces nouveaux vignobles se soient développés dans le Libournais, en premier lieu à Pomerol, pays de petite propriété soigneuse et de prix élevé, où aucun classement des Châteaux n'encadre le prix des vins, et à Saint-Emilion où ce classement existe bien, mais reste relativement incompréhensible.
Pour se tailler ainsi une place si présente, ces vins se devaient d'être très bons, mais d'une manière évidente, d'offrir "plus de tout" au dégustateur, bref de gagner par K.O. !

On prédit parfois une désaffection rapide pour ce qui ne serait qu'une mode dictée par le susdit Bobby. On s'inquiète souvent du type très accusé de tous ces nouveaux vins, bêtes à concours qui ne laissent aucune chance aux valeurs confirmées.
Tout cela n'est pas faux, mais plutôt mal ciblé: on ne boit pas de la Turque tous les jours, et les gens qui achètent une Rolls ont aussi une autre voiture.
Le désir de faire le meilleur vin possible, qui est finalement le désir de retrouver l'illusoire grand vin de nos grand-pères, rencontre une vieille demande qui rend ces entreprises tout-à-fait viables à long terme, comme le sont les petites exploitations de Bourgogne ou d'ailleurs.
Dans ce petit peloton des vins dont la demande est très supérieure à l'offre, d'autres rejoindront sans doute Petrus et ses émules dans une émulation de sélection qui n'est porteuse que de bons vins à venir.

La production du Château de Valandraud est bien sûr très réduite:
le vin de 1990 a été vendu en vrac;
1991 très diminué par le gel a fourni 1000 bouteilles;
c'est en 1992 que débute vraiment la production de grand vin, avec 4500 bouteilles d'un vin très dense, extrêmement long en bouche, et d'un grand potentiel de garde.
1993 devrait être un grand vin. Ce grand vin a bien sûr un prix, qui est légèrement supérieur à celui d'un premier cru de Bordeaux, au niveau d'un Grand cru phare de Bourgogne ou d'une grande cuvée de Côte-Rôtie de Guigal; il s'adresse d'ailleurs à la même clientèle, la plus passionnée; les 3500 bouteilles de Valandraud seront vendues par quelques négociants de Bordeaux, mais n'appelez pas, tout est sûrement déjà réservé !

C'est le propre de ces nouveaux vins que d'être quasi-introuvables . Le prix auquel Valandraud a été proposé en primeur est de 240 à 280 Frs hors taxes, ce qui en fait l'un des trois vins les plus chers de la campagne, après Le Pin et Petrus.
Le Château de Valandraud, enfin, jouit des conseils de l'oenologue Pierre Pauquet ( Cheval-Blanc), de Michel Rolland ( oenologue célèbre), et d'Alain Vauthier, copropriétaire d'Ausone; ce qui semble prouver que cette expérience est suivie avec beaucoup d'intérêt à Saint-Emilion.

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